On a d’abord repéré sa trogne dans « Un Prophète » de Jacques Audiard. Depuis, Slimane Dazi taille sa route d’acteur sur le tard dans les films de Rachid Djaïdani, Jim Jarmusch, Karim Dridi ou Hamé et Ekoué dont « Les Derniers Parisiens » vient de sortir en salle. Entretien.
Impossible d’oublier la première fois où on a vu la belle tronche burinée de Slimane Dazi : c’était dans Un Prophète, et il faisait ce mafieux inquiétant qui reçoit Tahar Rahim à Marseille pendant une des permissions de sortie de ce dernier. Cette seule scène avait suffi pour qu’on repère le bonhomme. Depuis, on l’a vu entre autres en grand frère la morale dans Rengaine de Rachid Djaïdani (qu’il avait tourné avant le film d’Audiard) ou dans D’Une Pierre deux coups de Fejria Deliba, ou encore en cafetier tangerois et seul témoin de l’existence de vampires dans le superbe Only lovers left alive de Jim Jarmusch. Démarrée à 42 ans, sa carrière d’acteur est désormais bien lancée et on a plaisir à la revoir en tête d’affiche aux côtés de Reda Kateb dans Les Derniers Parisiens de Hamé et Ekoué. Un rôle et surtout une ambiance urbaine parigote qui conviennent à merveille à ce superbe acteur humble et sympathique, grand amateur de vins naturels (trait qui nous va droit au coeur), qui s’exprime avec une gouaille à l’ancienne digne d’Audiard père.
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« Tu es devenu acteur tardivement. Quel a été ton parcours ?
Slimane Dazi – Après le lycée, j’ai été stagiaire foot au LOSC mais je n’avais pas la mentalité pour passer pro. La discipline quasi-militaire me faisait chier, alors je me suis arraché. Je suis rentré à Paname, j’ai fait une formation de mécanicien, j’ai voyagé en Algérie pour découvrir mes origines, puis j’ai fini par m’associer avec un pote pour devenir camelot, faire les marchés. Au bout de sept huit ans, j’ai monté une société de transports, puis ensuite, une société de ventousage où il s’agissait de réserver des lieux de tournage pour le cinéma. On se rapproche… Parallèlement, je faisais des photos en amateur, j’écrivais des nouvelles, donc je n’ai jamais été loin d’activités de création. Vers 2001-2002, j’ai rencontré Rachid Djaïdani par l’intermédiaire de mes petits frères. Il voulait faire un anti-La Haine, un film de quartier par un gars des quartiers. C’est ce qui est devenu Rengaine.
Comment ça s’est passé ?
J’ai bossé neuf piges sur ce film! C’était donc bien avant Un Prophète. J’ai vu ma ganache à l’écran pour la première fois et je ne me suis pas reconnu. Mais je ne me trouvais pas ridicule et surtout, j’avais kiffé faire le comédien. Tourner ce film était comme un atelier d’apprentissage. Rachid m’appelait pour tourner quelques jours, puis il disparaissait plusieurs semaines, puis me rappelait et je remettais le bleu de chauffe à l’angle d’une rue, ou dans un appart, ou dans une salle de boxe… Finalement, au bout de neuf ans, le film a été terminé, a été présenté à la Quinzaine à Cannes et très bien reçu. Moi, j’ai eu plein de prix d’interprétation pour Rengaine. Je rend à César ce qui appartient à Djaïdani : je lui dois de m’être découvert acteur. Peut-être avais-je ça en moi avant mais c’est lui qui me l’a révélé.
Tu n’avais jamais eu l’idée avant de t’y essayer, de prendre des cours ?
Je viens d’une famille où j’étais le frère aîné. J’étais là pour faire attention aux autres et m’effacer. Même au foot, j’étais passeur, pas avant-centre. Donc, me retrouver face à une caméra, c’était pas mon truc à priori. Maintenant que je suis comédien, je n’oublie pas que le cinéma est un art collectif, c’est très important.
Etais-tu un spectateur assidu de cinéma, ou pas vraiment ?
J’étais très cinéphile! J’ai été piqué au cinéma par ma grande soeur notamment avec le Cinéma de minuit qui passait des films le dimanche soir. J’y ai découvert les films de Fellini, d’Antonioni, de Scola, de Pasolini… Et puis je fréquentais l’Olympic Entrepôt, le cinéma art-et-essai de Frédéric Mitterrand dans le XIVème arrondissement. Moi, j’allais à l’école rue du Moulin Vert et je séchais les cours pour aller me goinfrer de films japonais, les Kurosawa, Mizoguchi, etc. Plus tard, j’ai découvert Kiarostami, le cinéma iranien, le grand cinéma russe de Tarkovski, les indépendants américains avec Cassavetes, puis Coppola, Scorsese… Il y en a trop pour les citer tous.
Les Derniers Parisiens fait justement penser à Scorsese ou Cassavetes…
Merci, c’est un beau compliment. C’est intéressant de voir comment Hamé et Ekoué ont filmé le quartier de Pigalle, ça nous change des clichés lisses, ça transpire la vérité, l’accidenté. La gouaille parisienne change, évolue, en fonction des populations et des générations, mais elle existe à Paris depuis toujours. Ils ont filmé les titis parigots version 2017.
Après Rengaine, tu tournes cette scène mémorable dans Un Prophète, film dans lequel le public te découvre. Comment t’es-tu retrouvé sur ce film ?
Audiard m’avait vu dans la série La Commune, écrite par Abdel Raouf Dafri (coscénariste de Un Prophète) et dans laquelle jouait Tahar Rahim. Il m’a fait passer un casting. Je lui avais dit que jouer un des gars dans la prison ne m’intéressait pas, c’était des rôles où il n’y avait rien à becqueter pour moi, à mes yeux. Par contre, jouer le mafieux Brahim Latrache, ça, ça me faisait bander. Peut-être étais-je arrivé à un moment de ma vie où j’en avais marre d’être passeur, où j’avais envie qu’on me fasse la passe. Je trouvais ce personnage très fort, il y avait de la matière pour un acteur. J’ai eu le rôle, et j’ai eu de très bons retours sur ma prestation.
Comment as-tu vécu l’accueil exceptionnel du film à Cannes ?
Je me suis laissé enivré par ces remous pétillants, puis après, en septembre, ça a été la grosse redescente. Ma carrière n’a pas tout de suite décollé. J’ai attendu, puis les rôles sont venus petit à petit. On m’a proposé des pâles copies de Latrache que j’ai refusées. Je ne voulais pas me répéter en moins bien. Heureusement qu’il y a des cerveaux et des gens qui ont du pif au-delà des frontières. J’ai eu la chance d’avoir des propositions de l’étranger.
Parmi ceux-là, Jim Jarmusch, qui t’engage pour Only Lovers Left Alive...
Quelle surprise magnifique! Le film est superbe, à l’image de la personne qu’est Jarmusch. C’est un poète, un esthète… Son cinéma, c’est du groove, c’est de la musique, il y a une pulsation. Comme Hamé et Ekoué qui sont à l’écoute de la musicalité d’une scène. Avec Jarmusch, c’était la première fois que je bossais avec un réalisateur dont j’étais fan. Audiard, j’aime bien mais je ne suis pas fan de tous ses films. Jarmusch, tout ce qu’il a fait est unique, singulier, ça m’a mis une claque à chaque fois. Et c’est une magnifique personne. Chaque fois qu’il passe à Paris, il m’appelle, on se voit. C’était une rencontre magique. Et travailler avec John Hurt ou Tilda Swinton, quel bonheur. Ce sont des stars mais ils sont tellement simples, humbles, tu en tombes par terre. Je ne croise pas souvent cette humilité dans le cinéma français.
On t’a vu aussi dans D’Une Pierre Deux Coups de Fejria Deliba, une sorte de Sur la Route de Madison version famille franco-maghrébine…
Encore une belle aventure, un beau film, une belle personne! Fejria est comme Jarmusch, elle a de la lumière en elle. Elle fait partie des gens qui restent lumineux, qui transmettent du positif malgré les rateaux qu’ils prennent dans la vie.
Parmi les cinéastes étrangers, tu as aussi tourné avec Guy Maddin.
C’est un génie, un fou, un type extraordinaire qui mériterait d’être beaucoup plus connu. Il est de ces réalisateurs qui n’ont pas besoin de casting, ils te regardent et c’est bon, ils te disent que ton visage raconte déjà dix histoires.
Comment as-tu connu Hamé et Ekoué ?
J’ai tourné avant dans leurs clips et leur téléfilm, De L’Encre. On s’est rencontrés simplement, par des amis communs, puis ils ont vu mon travail, et les choses se sont enchaînées. Hamé est un bouffeur de péloches, un vrai cinéphile compulsif. Ekoué aussi est cinéphile, mais sur le plateau, il est plus dans la direction d’acteur, dans la proximité avec le terrain, dans la recherche de véracité des personnages. Hamé est plus esthète. C’est un binôme qui se complète très bien. Quand ils se prenaient la tête sur le plateau, j’arrivais à faire évoluer mon personnage en écoutant leurs arguments contradictoires.
C’était comment de jouer avec Mélanie Laurent ?
Elle est l’antithèse de la star. Elle tenait à jouer ce rôle, aux mêmes conditions financières que les autres comédiens. Elle n’avait pas de statut spécial sur le tournage, ce qui était très classe de sa part. Jouer dans un film comme ça, c’est une petite prise de risque par rapport à son image. Tout le monde ne l’aurait pas fait, elle l’a fait. Mon seul regret, c’est que nos moments de tournage ensemble ont été courts.
Te sens-tu désormais pleinement acteur au sens où tu le vis comme ton métier ?
Oui, complètement. Je me consacre à cette seule activité depuis 2012. Alors parfois, je bouffe des pâtes à l’eau, je ne te le cache pas, mais çà, c’est le risque des artistes. Artiste, c’est d’abord une passion avant d’être un métier. A l’origine, l’art était un geste gratuit. Il ne faut jamais oublier qu’on exerce un métier qui existe grâce au désir des autres. Je ne l’oublie pas, d’autant que j’ai eu mon premier rôle à 42 berges. J’essaye de mettre toutes les cartouches de mon côté, par exemple en choisissant avec soin mes personnages, mes projets, en jouant avec toute l’intensité requise afin qu’on s’en souvienne et qu’on me propose le rôle d’après. Mais j’aime prendre des risques, aller où on ne m’attend pas. Quand Jim me propose le rôle du cafetier de Tanger, c’est un petit rôle mais un personnage superbe, central, le seul témoin de la disparition d’une race de vampire que personne d’autre ne connait. C’est beau de faire ce métier quand on reçoit des cadeaux comme ça. Pourvu que ça dure ! »
Propos recueillis par Serge Kaganski
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