Dans la dernière livraison des Cahiers du cinéma, une intéressante table ronde sur la critique ciné, ou plutôt sur la critique ciné au sein des Cahiers. Passé l’agacement devant la circularité clanique de cette discussion (mais une deuxième partie est annoncée qui parlera de la critique américaine et d’internet), on lit avec intérêt ces propos […]
Dans la dernière livraison des Cahiers du cinéma, une intéressante table ronde sur la critique ciné, ou plutôt sur la critique ciné au sein des Cahiers. Passé l’agacement devant la circularité clanique de cette discussion (mais une deuxième partie est annoncée qui parlera de la critique américaine et d’internet), on lit avec intérêt ces propos où beaucoup de questions sont abordées. Qu’est-ce que l’objet critique ? L’expression des affects du critique a-t-elle sa place dans l’analyse ? Le rôle de la critique est-il de trier les bons et les mauvais films ou bien d’aller chercher le cinéma partout où il fait symptôme en disant quelque chose de notre monde ou de notre société ?
Un tel échange est stimulant, son risque étant d’aboutir (même involontairement) à une définition de ce que devrait être la critique. Plutôt que de partir sur de grandes théories, il me semble préférable de commencer par sa propre expérience subjective. Quels critiques ont marqué ma ciné-vie ? J’ai aimé la pensée de Bazin, les intuitions et formules de Godard, la subjectivité fiévreuse de Truffaut, le scintillement orgueilleux de la cigale Daney, les tâtonnements modestes de la fourmi Biette, les fulgurances électriques de Manchette, les digressions encyclopédiques de Garnier, la tonalité affective de Kent Jones, la liberté punk de Skorecki, le mélange de savoir universitaire et de sentiment d’un Chion ou d’un Jullier… Je me rends compte devant cette liste, non-exhaustive, que ce que je recherche dans la critique, ce qui m’accompagne sur la durée, c’est à la fois du même, une communauté de goût sur les films ou une proximité de pensée sur le cinéma, mais aussi de l’autre, qui bouscule mes (in)certitudes. Alors, que la critique s’inscrive dans une histoire critique ou s’en affranchisse, qu’elle soit produite par des érudits universitaires ou des amoureux autodidactes, qu’elle soit avancée théorique ou pur geste littéraire, qu’elle parle depuis un média connu ou dans le bouillonnant magma du web, qu’elle se limite aux films ou qu’elle aille mater tous les écrans de notre postmodernité, qu’elle soit jugement de goût esthétique ou décryptage de l’époque, peu importe : ce qui compte, c’est un point de vue fort, une singularité stylistique, c’est qu’un texte vive et vibre, d’où qu’il vienne. C’est aussi pour cela que je crois à la pertinence de la critique au temps d’internet : si elle a une fonction aujourd’hui, modeste mais nécessaire, ce n’est pas d’informer ou de prescrire mais de produire une vibration textuelle qui tranche dans le tissu publivore, pluripromo, polycom et multimédia de notre société de l’hyperspectacle.