Quatre mois après « Bird Box », Netflix réinvestit le terrain du film d’horreur high-concept avec « The Silence », dans lequel une famille doit faire face à l’invasion de monstres aveugles à l’ouïe ultrasensible. Un échec cuisant.
Priver ses personnages d’un de leurs cinq sens pour les faire échapper à des monstres plus ou moins visibles, voilà qui semble être devenu le pitch gagnant d’un certain cinéma d’horreur survivaliste. C’était le cas fin 2018 de Bird Box, film d’horreur produit par Netflix dans lequel une force mystérieuse faisait sombrer quiconque la regardait dans une folie suicidaire. Une mère de famille (campée par Sandra Bullock) et ses deux enfants s’engageaient alors dans un périple à l’aveugle pour rejoindre un sanctuaire dont on ignorait la nature exacte. Plus gros succès de l’histoire de Netflix, ayant réuni pas moins de 45 millions de spectateurs (chiffres à nuancer toutefois, le géant du streaming comptabilisant le nombre d’abonnés ayant lancé le film, sans nécessairement l’avoir terminé), Bird Box avait défrayé la chronique en donnant naissance à un challenge Youtube un peu débile, voulant que des internautes se filment entrain de faire des tâches quotidiennes les yeux bandés (mais le cerveau étonnamment connecté). C’est fort de ce carton que débarque The Silence, lui aussi sorti des entrailles algorithmiques de Netflix, dans lequel une famille doit faire face à une invasion de monstres ailés aveugles, mais dotés d’une ouïe surdéveloppée. A défaut de se bander les yeux, nos survivants devront cette fois fermer leur bouche, et le moins qu’on puisse dire, c’est que The Silence n’est pas d’or.
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La famille Bélier meets The Walking Dead
Avant que les vespidés, sortes de chauve-souris mutantes, n’émergent des profondeurs de la Terre pour semer le chaos à sa surface, et n’éviscèrent allègrement toute forme de vie émettant des sons, nous faisons la connaissance d’Ally Andrews, une ado de 16 ans victime trois ans auparavant d’un accident de voiture lui ayant fait perdre l’audition. Ses parents, son petit-frère et sa grand-mère communiquent avec elle en langue des signes. Passé ce prologue aux allures de miroir inversé à La Famille Bélier, Ally et les siens devront quitter leur pavillon de banlieue pour fuir des hordes de vespidés sanguinaires, apparus par millions le temps d’un JT pré-apocalyptique. Avec pour avantage sur la famille américaine moyenne leur capacité à vivre dans le silence, les Andrews devront mettre à profit leur maîtrise de la langue des signes pour éviter de subir le sort funeste que réservent les vespidés à leurs congénères trop bruyants, et qu’Ally découvre horrifiée dans les vidéos d’attaques sanglantes peuplant la toile, les mains rivées sur sa tablette. Même lorsque la famille sera retranchée dans une maison de campagne isolée, son iPad providentiel lui donnera des nouvelles inquiétantes d’un monde plongé dans le chaos, aux infrastructures effondrées, « comme revenu au Moyen-âge ». Les vespidés ont beau avoir saccagé la planète, ils ont eu la bonté d’épargner le Wifi.
On retrouve au casting de The Silence Stanley Tucci et Miranda Otto dans le rôle des parents, tandis que Kiernan Shiepka – inoubliable Sally Draper dans Mad Men, et plus récemment sorcière en herbe dans Les Nouvelles aventures de Sabrina – y incarne Ally, seul motif de satisfaction d’un film d’horreur terriblement convenu, qui ne s’embarrasse même plus de feindre un semblant d’originalité. Infortunes calendaires ou réappropriation de concept éhontée, il s’avère que The Silence sort moins d’un an après Sans un bruit, film d’horreur indépendant de John Burke Krasinski dans lequel une famille arpentait en silence un monde post-apocalyptique peuplé – on vous le donne en mille – de créatures à l’ouïe ultrasensible. Et si l’on pouvait reprocher à ce dernier de ne pas suffisamment croire en son beau concept, faisant du silence (et donc du bruit) le moteur de son récit, que dire de The Silence qui ne voit dans un dispositif similaire qu’un gimmick de mise en scène affadi. Là où Sans un bruit avait su livrer quelques scènes suffocantes, où chaque son infime devenait une menace tétanisante, The Silence ne parvient jamais à prendre la mesure de son high-concept, et n’explore la surdité de son héroïne qu’à l’aune du prétexte narratif qu’elle incarne : une explication à sa maîtrise de la langue des signes.
Catastrophisme pour les nuls
Réalisé par John R. Leonetti, directeur de la photographie d’une myriade de films d’horreur low-budget et réalisateur du carton Anabelle, The Silence ne peut pas se targuer de masquer son concept inexploité derrière une mise en scène maîtrisée ; la faute à une photographie désaturée grisâtre (devenue au cinéma post-apo ce que la teinte sépia est aux films se déroulant dans les années 1920), des effets spéciaux parfois indigents, et un manque d’ambition formelle généralisé. Mais la véritable faiblesse du film réside dans la mise en place bâclée de son contexte catastrophe, où tout se joue en une nuit, avant que le monde ne sombre dans un chaos laissé hors-champs (tout juste entraperçu via l’iPad familial). A aucun moment ne se fait sentir l’angoisse pesante que l’anéantissement de notre monde (même invisible) devrait inoculer, et The Silence s’avère incapable de nous faire expérimenter le passage du temps, et la détérioration progressive du monde qu’il devrait induire ; le film pouvant aussi bien se dérouler sur trois jours que sur plusieurs mois.
Un souci d’écriture qui atteint son paroxysme lorsque le film introduit malhabilement ses antagonistes humains : une secte religieuse brutale qui voit dans l’invasion des vespidés le signe d’une punition divine, et l’occasion d’une repentance silencieuse (ses membres se coupant la langue pour respecter un vœu de silence radical). Version discount de la secte nébuleuse qui contaminait souterrainement le monde dans la sublime The Leftovers, la poignée de fanatiques de The Silence sert avant tout de courroie narrative pour amorcer la séquence finale du film, laissant dans les limbes d’un scénario boiteux, leurs motivations infuses et les circonstances de leur fanatisme fulgurant.
Film d’horreur post-apocalyptique sans style ni ambition, The Silence n’est jamais à la hauteur de son concept recyclé, exploité il y a moins d’un an par un Sans un bruit autrement plus convaincant. Après le très moyen Bird Box, Netflix livre une nouvelle production horrifique paresseuse, qui devrait néanmoins trouvé un public devenu friand de high-concept movies, qu’on oublie aussitôt engloutis.
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