L’errance d’un prêtre portugais persécuté dans le Japon féodal. Un film à l’atmosphère mystérieuse, qui a inspiré à Martin Scorsese son remake de 2016.
Au XVIIe siècle, deux prêtres jésuites portugais débarquent clandestinement au Japon, où le christianisme est alors interdit. La conversion rapide des Japonais à la religion occidentale (il en existe à l’époque trente mille) a déplu aux différents pouvoirs, qui y voient une menace.
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Les jésuites sont venus pour deux raisons : retrouver un autre jésuite qui semble avoir disparu, et tenter de faire renaître la religion catholique « universelle » dans l’archipel. Ce qui s’avère d’un côté facile (les habitants n’ont pas abandonné leur foi et la pratiquent en cachette) mais également compliqué et dangereux, parce que les jésuites sont blancs (ils ne doivent donc pas trop sortir) et que le sort réservé aux chrétiens est toujours atroce : on les brûle, on les noie, on les jette dans un volcan en fusion, etc.
Tortures physiques et morales
Mais le jeu suprême, qui a une grande importance dans le film, le plaisir le plus exquis des bourreaux bouddhistes, est de pousser les chrétiens à renier leur foi. Tous les moyens sont employés : on les enterre jusqu’au cou en menaçant de les faire piétiner par un cheval, on les pend par les pieds après avoir percé deux veines de leur cou pour que le corps se vide de son sang…
Moins violent physiquement mais plus terrible moralement, on pratique couramment une petite cérémonie hautement comique qui consiste à leur demander de piétiner une plaque en bronze à l’effigie de la Vierge. Ici, tout repose sur la valeur et la force des gestes et de la parole. Parole et geste s’inscrivent dans le réel, comme le verbe est à l’origine de la création du monde selon la Bible.
Le film s’étire pour envelopper le spectateur de moiteur et d’angoisse
Masahiro Shinoda décrit la longue errance d’un des deux jésuites, le père Rodrigues, baignée par une musique étrange, mix entre morceaux de guitare baroque et notes dissonantes sorties d’un instrument électronique. Le film est vite étouffant, s’étire pour envelopper le spectateur de moiteur et d’angoisse.
Le père Rodrigues finit par être capturé et s’engage alors entre lui et un gouverneur une longue discussion théologique, où le jésuite tente de prouver, en vain, au Japonais, qu’une bonne religion est forcément universelle (le christianisme).
Réalisé par un ancien assistant d’Yasujirô Ozu, tiré d’un roman de Shûsaku Endô, Silence est un film étrange, bien plus étrange et mystérieux que le remake de Scorsese il y a deux ans, et surtout dépourvu du twist final un peu ridicule qui laissait entendre qu’on ne renie jamais totalement sa foi.
Silence de Shinoda, au contraire, montre que les êtres sont poreux au monde, à la société qui les entourent, prônant ainsi un multiculturalisme plutôt inattendu.
Silence de Masahiro Shinoda, avec David Lampson, Don Kenny, Tetsuro Tamba (Jap., 1971, 2h09, reprise)
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