« Sieranevada » est l’un des deux films roumains en compétition, signé Cristi Puiu. Un huis-clos tendu qui voit une famille différer incessamment le moment de passer à table le soir de Noël.
Cristi Puiu fut le premier cinéaste, avec La mort de Dante Lazarescu au milieu des années 2000, à nous signaler la naissance d’une nouvelle génération de cinéastes roumains.
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S’il n’a pas encore accédé à la notoriété d’un Christian Mungiu (qui a déjà remporté une Palme d’Or avec 4 mois, 3 semaines, 2 jours), il a gardé la même ligne, implacable, rigoureuse, formaliste, qui fonctionne sur la longueur parfois volontariste des plans, et un humour plus pince-sans-rire que le plus pince-sans-rire des pince-sans-rire.
En plein Bunuel
Sieranevada raconte l’histoire d’un couple qui se rend dans une réunion familiale. On va assez lentement comprendre qui est qui, ce qui s’y déroule réellement, et les 2h52 du film y seront bien nécessaires. Tous ces gens attendent de pouvoir déjeuner. Or tout les en empêche : le retard d’un pope qui doit bénir la nourriture, une histoire démente de costume trop grand… La situation est absurde, tout comme cette société qui ne cesse de poser des barrières symboliques à tout. On pense souvent à L’Ange exterminateur de Luis Bunuel, dans lequel les personnages ne pouvaient quitter la soirée dans laquelle ils se trouvaient enserrés.
Aucune complaisance chez Puiu dans ce traitement de la durée, qui a besoin de temps pour briser les nerfs du spectateur et de ses spectateurs pour abattre leur résistance, provoquer chez eux un rire souvent nerveux, gêné, et des aveux terribles (le mensonge et la paranoïa sont le cœur de la famille de Lary). C’est puissant et on ne s’ennuie jamais. Chaque personnage est bien dessiné, avec précision – ses petits défauts, ses folies profondes (comme la peur qui habite le frère de Lary, ou le complotisme de son neveu, tous deux obsédés par les attentats qui sévissent depuis le 11 septembre 2001) – et n’est jamais enfermé dans sa caricature.
Une question d’axe
En gros, hormis quelques excursions quand même assez importantes pour le récit, notamment au Carrefour du coin (si, si), tout va se dérouler dans cet appartement de la banlieue de Bucarest, qui va très vite devenir la cabine des frères Marx. Tous les membres de la famille s’y croisent, ainsi que leurs névroses multiples et souvent compliquées, et le personnage central du film, un médecin prénommé Lary (génial Mimi Branescu), considéré par tous comme une sorte de parangon de réussite (on découvrira que les choses sont plus compliquées) tente de résoudre tous les problèmes, de calmer les hystériques, de ne pas trop s’énerver contre sa mère, de soigner les malades, de rire de cette situation étouffante – les moments où le personnage rit en même temps que le spectateur sont assez étonnants, et si rares en réalité au cinéma).
Car tout tourne, au sens propre comme au figuré, autour d’un axe, celui du centre de l’appartement, un dégagement sur lequel donnent toutes les pièces. Parfois on y pénètre, dans ces pièces, pour une ou deux scènes, mais la plupart du temps, la caméra reste au centre. Elle semble vivante. Elle hésite, suit un personnage puis un autre. Cette caméra a donc sa propre liberté, qui va s’en doute de pair avec l’idée que cette réunion familiale a pour but de célébrer la fin du deuil du patriarche de la famille, Emil.
Le cinéma, ce serait ce fantôme qui pose un regard étonné et attentif sur les siens…sur son pays ?
Sieranevada de Cristi Puiu (Roumanie). Avec Mimi Branescu, Bogdan Dumitrache, Dana Dogaru. Sélection officielle – En compétition
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