« Si Beale Street pouvait parler »: trop maniéré pour être mordant

Lauréat surprise de l’Oscar du meilleur film avec Moonlight en 2017, Barry Jenkins était, cela va sans dire, attendu avec cette adaptation d’un roman de 1974 du grand James Baldwin, Si Beale Street pouvait parler, qui raconte la lutte d’une femme pour sortir son époux de prison, où il croupit pour un viol qu’il n’a pas commis, S’il impressionne par endroits, le film déçoit à d’autres.

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Jenkins est à l’évidence un grand styliste, un des plus virtuoses apparus récemment dans le cinéma américain (qui n’en manque pourtant pas), mais son goût pour la haute couture joue ici contre lui. L’influence de Wong Kar-wai, palpable dans le dernier segment de son précédent film, se manifeste là du début à la fin, comme si Jenkins tentait de greffer l’ADN du cinéaste hongkongais sur celui de l’écrivain afro-américain : atmosphères romantiques et appartements exigus de Harlem (tantôt rougis, tantôt verdis par une lumière chaude), ralentis sur des corps qui se frôlent et flashs­back envapés, standards de soul et tropisme latino (belle embardée à Porto Rico) se déploient dans ce mélodrame éminemment politique, qui cherche à saisir dans toute son abjection le traitement policier et judiciaire des Afro-Américains – hier, comme aujourd’hui.

Brillant lorsqu’il filme la confrontation (comme cette scène où l’héroïne annonce à ses beaux-parents qu’elle est enceinte de leur fils incarcéré, ou encore cette joute avec un flic), le cinéaste se perd à d’autres moments dans de vains gimmicks. Enfermés dans leur écrin de beauté, les personnages finissent par devenir d’unidimensionnelles figures de papier glacé, censées nous émouvoir par injonction davantage que par une tension patiemment construite. Reste aux images de Jenkins un indéniable pouvoir de fascination, dont on espère qu’elles retrouveront dans son prochain film un peu plus de mordant.

Si Beale Street pouvait parler de Barry Jenkins (E.-U., 2019, 1h59)