Dans ces lignes, nulle idée de reproche dans l’emploi du qualificatif « chic ». Chic, Bertolucci l’a toujours été, dès Prima della rivoluzione, quand il fut salué par la critique comme un auteur majeur du nouveau cinéma italien et ensuite traité de traître ou de filou, lorsque ses films plus ouvertement racoleurs ou académiques rencontrèrent d’immenses succès […]
Dans ces lignes, nulle idée de reproche dans l’emploi du qualificatif « chic ». Chic, Bertolucci l’a toujours été, dès Prima della rivoluzione, quand il fut salué par la critique comme un auteur majeur du nouveau cinéma italien et ensuite traité de traître ou de filou, lorsque ses films plus ouvertement racoleurs ou académiques rencontrèrent d’immenses succès commerciaux (Le Dernier tango à Paris, Le Dernier empereur). Mais Bertolucci n’a pas beaucoup changé, et il n’a surtout pas attendu la gloire pour s’embourgeoiser. Bourgeois, et poète, et snob, et libertin, il l’a toujours été. Que cela ne nous empêche pas d’apprécier son cinéma à sa juste valeur. Bertolucci est l’un des derniers grands cinéastes maniéristes du cinéma moderne, dont l’œuvre propose un travail d’admiration (et parfois d’imitation) de Godard, Antonioni et Visconti.
En cela, Bertolucci se rapproche davantage de Dario Argento que de Marco Bellocchio, même si ces trois cinéastes ont souvent parlé de la même chose au même moment : le trauma familial, la perte d’identité et la révolte anarchiste. Car la politique ou la psychanalyse ont toujours soulevé chez Bertolucci des enjeux (et des émotions) esthétiques et formelles. Shanduraï, jolie réussite, parle de l’exil des sentiments et suit dans une Rome cosmopolite la vie d’une jeune Africaine, étudiante en médecine et femme de chambre d’un riche et solitaire pianiste anglais qui vit reclus dans une maison de la piazza di Spagna. L’artiste tombe évidemment amoureux de la jeune femme, qui cache un secret : elle a fui la dictature de son pays et reste sans nouvelles de son mari instituteur, enlevé par la police sous ses yeux. Ce « morceau de musique de chambre pour le cinéma » évite par sa légèreté et sa grâce modeste les clichés du film humaniste et culturel. Shanduraï est une œuvre touchante, à la sensualité musicale et tactile.
Bertolucci n’est pas un cinéaste superficiel, c’est un cinéaste à la caméra caressante. Nettement plus à l’aise dans le mélodrame miniature que dans la fresque, Bertolucci le styliste aime se concentrer sur des motifs et des détails qui peuvent être aussi bien plastiques que psychologiques. Et plutôt que d’art décoratif, on préférera parler de haute couture à propos de son cinéma, qui en vient même à adapter dans ce film, de façon avouée et très visible, les couleurs et les mouvements des tendances cinématographiques du moment. Toujours à l’affût des modes modernistes, il s’entiche d’effets à la Wong Kar-wai, qui pourraient être ridicules mais qui sont presque touchants, lorsqu’on se rappelle que Pasolini, maître de Bertolucci, accélérait les images et les sons bien avant le nouveau cinéma asiatique.
Il y en aura beaucoup pour trouver cet exercice dérisoire et creux, et cette idée de vacuité dominerait sans doute si Bertolucci n’avait donné autant de chair et d’esprit à son couple. Thandie Newton et David Thewlis sont magnifiques et parviennent à faire jaillir de cette asphyxiante beauté des bouffées d’émotions intenses. On pourra finalement objecter que la dimension politique dans Shanduraï est nulle car elle ne renvoie à aucune réalité définie ; Shanduraï est effectivement un conte, une fable pudique, qui se tient à l’écart de l’autoroute de la démagogie et de l’abjection. Nous aimons le dernier film de Bertolucci parce que son goût de la beauté des choses et des femmes ne se sépare jamais d’une foncière honnêteté de cinéaste. C’est aussi en cela que Bertolucci est chic.
Olivier Père
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