Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes, « Café Society » nous permettra de constater l’évolution du jeune Jesse Eisenberg, de retour au sein du cinéma de Woody Allen, deux ans après « To Rome With Love ».
Teenager
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A l’instar de son collègue Michael Cera, Jesse Eisenberg compose son jeu selon un phrasé hésitant, des gestes maladroits et un air effacé. Si ce n’est qu’à la timidité infantile de Cera, Eisenberg privilégie une nervosité instinctive. Le jeune homme est l’incarnation d’une certaine vulnérabilité juvénile, à deux doigts de la sensibilité féminine. L’un de ses pendants matriciels pourrait être Anthony Michael Hall, le geek du Breakfast Club (1985) de John Hugues.
https://youtu.be/gfPE_MEKipM
Cette oscillation du masculin au féminin ressort joliment à travers le duo qu’il forme en compagnie de Kristen Stewart, cet ancien garçon manqué. En 2009, dans AdventureLand de Gregg Motola (réalisateur de Supergrave), Eisenberg s’éprend de la jeune brune, fan de Lou Reed, au sein d’une chronique estivale s’imprégnant de l’insouciance des films de campus. Leurs retrouvailles dans American Ultra est une manière de décliner cette amourette teenager, ce « satellite of love » que chantait le compère de David Bowie.
Avec ses élucubrations incongrues de stoner, ses cheveux longs, son corps mutilé jusqu’au trash, le Jesse Eisenberg de American Ultra est un fantasme générationnel. Dans la peau du romantique meurtri, il se fait l’avatar de Kurt Cobain. Smells like teen spirit.
Nerd
The Social Network (2010) dévoile l’autre profil de Jesse Eisenberg. Si Mark Zuckerberg a mis en place un réseau social d’envergure planétaire, l’acteur conçoit en lui, plus qu’un informaticien brillant, une véritable machine. C’est ainsi qu’il l’interprète, afin d’illustrer sa présumée sociopathie. En dehors du tournage, l’acteur prend des leçons d’escrime pour obtenir la raideur plastique du buste du nerd. Les centaines de prises souhaitées par Fincher font des dialogues, plus qu’une suite de mots, un enchaînement d’automatismes intégrés au moteur interne de l’acteur.
Avec sa diction aussi frénétique que le son pétaradant des doigts claquant les touches d’une machine à écrire, Jesse Eisenberg calque le débit de sa parole sur les pratiques réticulaires d’une jeunesse dialoguant au gré des services de messagerie instantanée.
Si le concept du jeu robotique évoque les prestations historiques des acteurs du burlesque muet – la mécanique du gag selon Buster Keaton et la raideur des chutes corporelles, devenues verbales dans le cas de Zuckerberg – Eisenberg reviendra à une forme de cinéma plus primitif encore avec le Insaisissables (2013) de Louis Leterrier. Dans la peau d’un illusionniste, il se fait héritier du légendaire Georges Méliès (l’inventeur des effets spéciaux), et ce au sein de l’univers super-technologique du blockbuster.
Mélancolique
Dans Les Berkman se séparent (2005), Jesse Eisenberg se confronte aux échecs des adultes. Fiston porte sur ses épaules le poids des regrets diffus, ceux du père dépressif, un écrivain raté (l’acteur, lui aussi, est écrivain). A travers ce long-métrage de Noah Baumbach (le scénariste phare de Wes Anderson), ponctué façon juke-box par les tubes musicaux de Bryan Adams et Tangerine Dream, le teenager, entre perte de l’enfance et amère appréhension de l’âge adulte, devient le Holden Caufield des années 2000. Caufield est un adolescent désenchanté, au centre du roman L’attrape-coeurs de Jerome David Salinger (chef d’oeuvre de la littérature young adult) et ses déambulations en plein New York reflètent la déroute d’une jeunesse dépourvue de repères.
Pour Baumbach, Eisenberg interprète à la guitare sèche le « Hey You » de Roger Waters. Le morceau des Pink Floyd traite justement de thématiques inhérentes à cette mélancolie diffuse: folie, sentiment d’enfermement, incapacité de communication face à autrui. Autant de thèmes éparpillés au fil des films de Wes Craven (Les griffes de la nuit, Scream), parangon du slasher qui fera de l’intriguant chevelu l’une des têtes d’affiche de Cursed (2005), son film de lycanthropes.
Scénarisé par Kevin Williamson, créateur de la série Dawson, autre point emblématique de la culture ado américaine, Cursed est un revival forcé du cinéma d’horreur ironique des années 90. Un concept qui par essence fait osciller le projet vers le spleen cinéphile…
Kafkaïen
En le choisissant pour incarner le (double) rôle-titre de The Double (2013), très libre adaptation de Dostoïevski, Richard Ayoade (The IT Crowd) a fait de Jesse Eisenberg un personnage proche du K. le personnage cher à Franz Kafka, cet anonyme enfermé dans une société administrative étouffante. Entre rêves et contingences sociales, on est jamais loin non plus du Brazil de Terry Gilliam.
Dans Les Berkman se séparent, Jesse évoquait justement le cas de Gregor Samsa, le malheureux protagoniste de La métamorphose, symbole s’il en est de l’altérité identitaire, un complexe propre à l’adolescence s’il en est. Eisenberg est kafkaïen, et The Double est un peu son Eraserhead à lui. Cette angoisse diffuse face aux tensions du monde contemporain, Eisenberg y est familier. C’est cette vision du monde occidental qu’avait justement en tête Shyamalan lorsqu’il l’a dirigé pour Le Village (2005), son allégorie de l’Amérique post-11 Septembre.
Tel qu’il a pu le déclarer à The Telegraph, Eisenberg conçoit en The Double une comédie à l’« humour très sophistiqué », évoquant l’absurdité de l’humour new-yorkais. Un état d’esprit que l’acteur est finalement venu chercher chez Woody Allen et qu’il développe au gré de ses nouvelles.
Machiavélique
Dans la peau de Lex Luthor, Eisenberg ne lésine pas sur le cabotinage. A travers Batman v Superman (2016), l’acteur semble singer les sauts d’humeur du Joker schizophrène incarné par Heath Ledger (The Dark Knight), mais son goût poseur du « too much » et du machiavélisme dérisoire en font plus volontiers un avatar du troll Martin Shkreli, « l’homme le plus détesté d’Amérique ». Potache insolent raillant courant 2015 le prestige des Congressistes, ce pharmacien milliardaire est l’incarnation in real life de la Nemesis de Superman. Eisenberg, lui faisant écho, s’affirme en jeune loup plein d’arrogance.
A l’instar d’Hayden Christensen, le Dark Vador naissant de la prélogie Star Wars, Eisenberg s’est fait fustiger par les fans qui l’ont accusé de faire sombrer le blockbuster de Zack Snyder dans le ridicule. Alors que le jeune acteur compte faire ses débuts en tant que réalisateur pour une série comique (Bream Gives Me Hiccups avec Parker Posey), il est permis de savourer sa prestation « too much » avec la même dérision.
En 2009, dans Bienvenue à Zombieland, Jesse Eisenberg avait tout du fanboy. En 2016, son retour vers la culture geek l’a transfiguré en icone de cette mythologie moderne. Ses traits enfantins, quant à eux, persistent, tout comme la confusion de ses sentiments. « Je suis comme Pinocchio, je suis un petit homme en bois » avouait-il dans The Double…
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