De loin le meilleur film de son auteur, celui qui fait fructifier le talent entrevu dans les deux précédents, Selon Matthieu risque pourtant de ne pas trouver un accueil à la hauteur de ses qualités. Justement parce que Beauvois a eu l’intelligence de mettre de la distance entre lui et son sujet, d’abord en choisissant […]
De loin le meilleur film de son auteur, celui qui fait fructifier le talent entrevu dans les deux précédents, Selon Matthieu risque pourtant de ne pas trouver un accueil à la hauteur de ses qualités. Justement parce que Beauvois a eu l’intelligence de mettre de la distance entre lui et son sujet, d’abord en choisissant le très impressionnant Benoît Magimel pour interpréter Matthieu, puis en posant sur son personnage un regard dénué de toute complaisance. Après une première partie remarquable, fondée sur l’observation au scalpel de rituels communautaires et sociaux, où Beauvois démontre qu’il est capable de faire exister des personnages en leur accordant toute la durée nécessaire, le film atteint son premier sommet avec la mort du père. Au lieu du pathos attendu, Beauvois se contente d’un pacte silencieux, et montre la main de Matthieu sur le pied nu du cadavre.
Pas à pas, en respectant l’opacité fondamentale de Matthieu, sa solitude rageuse et sa soif butée de revanche, le film change de registre pour se faire le récit d’une vengeance. Alors que son propre inconscient lui hurle l’inanité de son entreprise le temps d’une belle séquence onirique, Matthieu poursuit son but : baiser la femme du patron. Et il y parvient, évidemment. Et alors ? Alors rien, très logiquement, comme il se doit. La fiction promise se change vite en une banale coucherie franchouillarde, où la grande bourgeoise (Nathalie Baye), visiblement habituée à ces escapades, énonce des banalités sur le jeu, la migraine, la mondialisation, sa vie sexuelle avec son mari. Elle fixe les règles du jeu, soumet son jeune amant au questionnaire de Proust, et le prend pour ce qu’il est : un passe-temps plutôt agréable, une manière comme une autre de tromper son ennui plus que son mari. Au risque de décevoir le spectateur qui attendrait du sadomasochisme à base de lutte des classes ou de la flamboyance mélodramatique là où il n’y a qu’une erreur et de la baise hygiénique, Beauvois pointe ce manque de lucidité affective et politique en une succession de séquences, tristes car vouées à l’échec, arrêtées parce que révélatrices de tout le poids d’une société, trop apte à digérer ce genre d’incident mineur pour s’en trouver bouleversée le moins du monde. Pour la femme du patron, l’adultère est la plus commune des fictions, la plus médiocre aussi, alors que Matthieu voit son entreprise vengeresse vouée à la dilution clandestine, sans gloire ni éclat. Il ne se passe rien, sinon que Matthieu s’enferre toujours davantage dans son erreur et se coupe des siens.
Peut-être qu’un cinéaste plus mature et sûr de ses forces aurait suivi le mouvement de son film plutôt que celui de son personnage, vers une fin qui aurait enregistré l’échec essoufflé de la tentative de perturbation de l’ordre établi. Beauvois, lui, choisit la logique de Matthieu, celle de la rage qui se doit d’exploser une bonne fois, et n’échappe ni à la facilité scénaristique ni à la tentation de forcer le trait. Si la soudaine bouffée de lyrisme du final déséquilibre tout le film, tant elle paraît artificielle et maladroite, elle ne parvient pas à faire oublier que Selon Matthieu est d’abord l’enregistrement d’une passion malheureuse, donc un beau film.
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