Esthétique de sitcom, narration pachydermique, propos édifiant et repli sur les vieilles valeurs familiales : avec Secrets et mensonges de Mike Leigh, on tombe de haut.
A voir défiler les films des « grands cinéastes européens » (Angelopoulos, Kusturica, Leigh, entre autres génies), on se demande s’il faut douter de l’Europe, du cinéma ou bien de la grandeur. Mike Leigh, très célèbre dans son pays pour son activité de dramaturge et de réalisateur de télévision, a dû ramer beaucoup depuis le déjà accablant High hopes pour obtenir enfin ce statut, mais il faut reconnaître qu’avec Secrets et mensonges il n’a pas pris beaucoup de risques, en rajoutant même un peu sur la grandeur. Grandeur d’âme, bien sûr, et hauteur de vue, surtout, parce qu’on ne peut vraiment pas dire que Leigh soit le cinéaste de la grandeur humaine, quel que soit le sens que l’on veuille donner à cette fadaise. De l’histoire, nous dirons simplement que, partant d’une situation éclatée (une famille en trois morceaux qui s’ignorent quasiment) et suivant alternativement ces trois lignes, le film avance pesamment vers leur jonction évidente, vers une acmé pathétique et fusionnelle. Refusant la scénarisation, jouant la neutralité et l’objectivité par le biais d’une mise en scène d’une rare inexpressivité, étirant les scènes, privilégiant la frontalité dans d’éprouvants champs-contrechamps, semblant tout miser sur un jeu d’acteurs basé sur l’improvisation, Leigh arbore le style et les méthodes d’un certain cinéma-vérité, libre et risqué, ouvert, pour faire exactement le contraire : un film moralisateur et édifiant, balisé de bout en bout et qui fait siens les bons vieux principes de la catharsis. Cette incursion de techniques théâtrales dans le domaine de la dramatique télé (car Secrets et mensonges n’est rien de plus qu’un énorme sitcom) est un gimmick moderniste dont, semble-t-il, Leigh a besoin pour mener tout son petit monde à l’abattoir. Car l’extraordinaire mièvrerie de l’histoire ne suffit pas à dissimuler l’aigreur de l’auteur, ici visible sur les visages des acteurs, tous condamnés malgré leurs qualités certaines à d’abominables rictus.
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Sous des dehors libéraux (antiracisme, mobilité sociale) et sous couvert d’humanisme bêlant (« Aimons-nous les uns les autres » ou encore « Pourquoi ne partageons-nous pas nos souffrances »), le film de Leigh exhale la pire morale conservatrice. Secrets et mensonges n’est pas un film social, c’est un film familialiste qui brasse des notions faisandées comme le retour aux racines ou la quête de l’identité, identité ne s’entendant jamais ici que comme appartenance à un groupe. Lorsqu’on en appelle à l’amour et aux bienfaits de la thérapie de groupe pour régler les problèmes entre les gens, ça ne laisse plus beaucoup de place pour quelque chose de moins expansif que les larmes et les embrassades. Et lorsque Leigh essaie d’aérer sa dramaturgie pachydermique par des sortes d’incises où il passe en coupe toute la société britannique (le défilé des clients dans l’atelier du photographe Maurice), l’opération se révèle pire que le mal et rabaisse le discours social à une série de tableaux dignes des Deschiens, la drôlerie en moins. De fait, si l’on peut sauver deux scènes de ces deux heures vingt de mauvais cinéma, ce seront celles qui ne servent à rien : lorsque Hortense discute avec une amie de choses sans intérêt, ou lorsqu’un clochard gravitant autour de l’atelier photographique s’avère en être l’ancien propriétaire, agressif et revendicatif. Deux scènes, c’est trop peu pour permettre à ce film d’être autre chose qu’un mélange, pas subtil du tout, de sentimentalisme obscène et de causticité contrôlée.
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