Dans l’Angleterre de 1979, trois jeunes se retrouvent enfermés dans une maison de correction. Mais la société elle-même n’est-elle pas une vaste zone de surveillance et de dressage ?
On pourrait commencer par dire que Scum est un grand film sur la prison. En l’occurrence, il s’agit d’une maison de correction pour mineurs, dans l’Angleterre thatchérienne des années 1970. Mais en disant cela, on n’aura pas dit grand-chose, car le film opère à l’envers des films carcéraux qui reposent sur la souffrance du dedans et l’attrait du dehors.
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Une œuvre habitée par la pensée de Foucault
Dans Scum, le dehors n’existe pas, la libération n’est pas un horizon. La maison de correction est une société et la société est une maison de correction. Ce paradigme fait de Scum une œuvre habitée par la pensée que Foucault développe dans Surveiller et Punir, son essai sur la prison publié quatre ans avant la sortie du film.
Ce que montre Clarke, sans jamais démontrer, c’est cet appareil de dressage des individus identifié par Foucault qui naît avec l’avènement du capitalisme. Hiérarchie, discipline, infantilisation, obéissance, privation de liberté, isolation, travail, évaluation et surveillance en sont les maîtres mots. Sur ce dernier point, Foucault écrit : « Notre société n’est pas celle du spectacle mais de la surveillance ; sous la surface des images, on investit les corps en profondeur ; derrière la grande abstraction de l’échange, se poursuit le dressage minutieux et concret des forces utiles. »
Au-delà du pied de nez volontairement adressé à Guy Debord, il est intéressant de détourner l’opposition spectacle/surveillance en déclarant que Scum donne la surveillance en spectacle et en démonte les rouages.
Dire l’implacable violence du monde
Censuré par la BBC dans sa première mouture, le film suit trois délinquants qui, chacun à leur façon, sont hors cadre. Il y a Carlin, dont le charisme presque surnaturel trouble le pouvoir, Davis, dont l’extrême sensibilité l’embarrasse et enfin Archer dont les rêveries le désarment. La belle réussite politique du film tient dans le recadrage qu’il opère pour faire de ces trois figures – le fort, le tendre et l’esprit – autant de potentielles insurrections contre le dressage par la norme. Si ces révoltes prennent trois formes différentes – la violence, la fuite et l’art –, le film les regarde avec la même infinie tendresse.
En anglais, scum, c’est la crasse mais aussi l’écume, le rebut mais aussi ce qui jaillit du sommet de la vague. Il y a chez Clarke, comme chez Genet d’ailleurs, un amour inconditionnel pour la délinquance, que le cinéaste confirmera avec Made in Britain (1982), The Firm (1988) ou encore Elephant (1989), qui influença Gus Van Sant pour son film du même nom. Entre ce film qui remportera la Palme d’or en 2003 et Scum, il s’agit du même tropisme pour la jeunesse perdue, du même art du cadre pour dire l’implacable violence du monde, tout en préservant la possibilité d’une (r) évolution.
Scum d’Alan Clarke, avec Ray Winstone, Mick Ford, Julian Firth (G.-B, 1979, 1 h 38). Sur La Cinetek
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