Continental Edison. Depuis que la mode a rattrapé l’easy-listening, l’Amérique des cocktails ne parle plus que de la merveille Combustible Edison. Dans un mouvement où les héros portent, à la Burt Bacharach, moumoute grisonnante et soixantaine coquette, son leader, The Millionaire, est une espèce de personnage de Roswell du rock américain. Un Calimero chauve et […]
Continental Edison. Depuis que la mode a rattrapé l’easy-listening, l’Amérique des cocktails ne parle plus que de la merveille Combustible Edison. Dans un mouvement où les héros portent, à la Burt Bacharach, moumoute grisonnante et soixantaine coquette, son leader, The Millionaire, est une espèce de personnage de Roswell du rock américain. Un Calimero chauve et trentenaire qui a inventé la cocktail nation.
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« J‘ai toujours employé ce terme, « cocktail-music », parce que cela dit exactement les choses : une musique de détente, de relaxation, dont certains éléments comme le vibraphone sonnent tels les tintements des verres à l’heure du cocktail. J’aime cette idée de taches de couleurs vives projetées sur les murs d’une pièce sombre, une ambiance feutrée et extatique à la fois. » On imagine d’ici les réceptions chez The Millionaire, l’ambassadeur du swing et du lounge way of life, à la fois guitariste et tête pensante de Combustible Edison. Pourtant, avant que ne paraisse en 94 I, swinger, le premier album de Combustible Edison, personne n’avait entendu parler de la cocktail-music. Les vinyles hors de prix de Martin Denny, Esquivel ou Les Baxter amassaient la poussière dans l’indifférence quasi générale des clients des boutiques de Portobello Road. Seuls quelques loungers précoces croyaient alors aux promesses d’un éden à la portée de tous, tel que vanté par ces pochettes : dépliants paradisiaques d’une république inconnue où l’hédonisme, l’art de vivre, et surtout de se laisser vivre, figureraient au premier rang des droits de l’homme. La cocktail nation, telle qu’elle fut baptisée par le leader de Combustible Edison, nous gratifiait même d’un manifeste dont les préceptes valent leur pesant de cacahuètes et autres amuse-gueules de cocktail : un véritable appel à l’insoumission oisive, où il est question notamment de suavité, de luxuriance et, en français dans le texte, de bons vivants et de demi-mondaines. « En réalité, il s’agissait au départ d’une plaisanterie. Notre premier objectif était de nous amuser en jouant exactement le genre de musique que nous écoutions, entre nous, comme s’il s’agissait d’une discipline ésotérique dont seuls les initiés pourraient comprendre le message. Mais le combat esthétique a vite pris le dessus : nous voulions réhabiliter l’image du easy-listening, prouver que cette musique n’est pas l’ennemie de la créativité comme tout le monde semble le croire. Il faut dire qu’aux Etats-Unis, la culture populaire, la musique comme le style de vie manquent tellement de glamour qu’il était urgent de réintroduire un peu d’excitation et de flamboyance. » Et pour étayer son propos, The Millionaire sort un vieux billet de 10 dollars tout fripé. « En gros, nous venions de là et voilà maintenant ce à quoi nous voulons ressembler (il sort alors une coupure de 500 f avec les époux Curie sur fond vert criard)… Quelle chose merveilleuse ! On croirait un tract pour une rave ! Je ne veux surtout pas le dépenser pour le montrer aux autres. »
The Millionaire est de retour en Europe pour la promotion de Schizophonic, le second album de Combustible Edison et entre-temps, Londres a mis la cocktail-music et l’easy-listening au goût du jour. A New York aussi, le nom de Combustible Edison circule chez les bookmakers comme l’une des possibles next big things depuis qu’ils ont participé à la bande originale de Four rooms, film-événement produit par Tarantino. On a du mal à croire que ce petit bonhomme rondouillard, vêtu de la dernière collection Emmaüs, représente à lui tout seul l’élégance continentale aux yeux des branchés américains. En revanche, à l’écoute de Schizophonic, album-jumeau de I, swinger, on comprendra vite pourquoi converge désormais vers cette musique autant d’attention : des deux côtés de l’Atlantique, chacun aura des raisons de la trouver à son goût. Les Européens rêvent de Las Vegas, les Américains de La Dolce vita et Combustible Edison ratisse suffisamment large pour satisfaire l’un et l’autre de ces fantasmes. Et avec eux la cocktail-music ne sera plus tout à fait une musique d’ambiance pour cocktail mondain mais bien un cocktail de musiques en provenance des cinq continents, où Nino Rota côtoie des vahinés lascives et où le Mexique futuriste d’Esquivel avoisine la guitare surf de Dick Dale. « Ce qu’il y a de fascinant avec l’easy-listening, c’est que cette musique n’appartient à personne : il s’agit d’une sorte d’espéranto, de langage universel. Par extension, être amené à aimer ce genre de musique est pour moi symbolique d’un état d’esprit : elle rassemble des gens qui ont une idée précise du monde dont ils veulent s’entourer, de l’existence qu’ils ont envie de vivre. Je pense que le monde peut devenir magique à condition que chacun le veuille. Notre environnement quotidien sera plus riche et plus étrange, plus exotique et merveilleux si on s’en donne la peine. Peut-être certains y parviendront-ils grâce à nos disques, à la philosophie de vie que nous prônons. Un jour, un ami m’a fait écouter un disque d’Esquivel, Exploring new sounds of stereo, et j’ai immédiatement pensé en moi-même : « Voilà le genre de musique que je veux faire, pourquoi perdre mon temps dans un groupe de rock ? » J’ai vite songé aux milliers de possibilités qui s’offriraient à moi à travers ce mode d’expression. Encore maintenant, je considère l’easy-listening comme la musique la plus futuriste qui soit, puisqu’on peut la décliner à l’infini, sans jamais entrevoir l’issue du labyrinthe. On ne choisit pas toujours ce pour quoi on est fait et, aussi loin que je puisse remonter dans le temps, j’ai toujours eu l’impression d’être fait pour cette musique. J’ai commencé à acheter des disques d’easy-listening vers l’âge de 18 ans, c’était ma façon à moi d’être punk : j’écumais les magasins où l’on vend des vieilleries pour des œuvres de charité, à la recherche de ces disques sans valeur dont les gens se débarrassent et qui provoquaient chez moi un véritable émerveillement. Je les choisissais en fonction de la pochette, pour décorer ma chambre. C’est comme lorsqu’on trouve une vieille carte postale écrite à l’attention de quelqu’un qu’on ne connaît pas, cela semble provenir d’un autre monde : voilà l’effet que ces disques provoquaient chez moi. J’ai mis plus d’un an avant de les écouter, persuadé que si les pochettes étaient magnifiques, la musique devait être soporifique. Curieusement, j’ai adoré l’atmosphère qui s’en dégageait, je trouvais ça extrêmement puissant psychologiquement. Cela n’a rien à voir avec des questions de volume sonore, d’agressivité. La cocktail-music a considérablement enrichi mon vocabulaire : j’ai découvert par ce biais de nouvelles gammes de couleurs musicales, de nouvelles sensations, des choses paradoxalement plus sauvages qu’il ne m’était jamais arrivé d’entendre dans des disques de rock. Si cela reste de la musique pop, la muzak est plus insidieuse car elle agit directement sur le comportement : si j’en écoute dans ma voiture, je suis forcé de couper au bout de dix minutes car cela bouleverse complètement ma façon de voir les choses. C’est une musique beaucoup plus dangereuse et subversive qu’on ne l’imagine. »
En 91, la première mouture de Combustible Edison voit le jour sous le nom de Combustible Edison Heliotropic Oriental Mambo & Foxtrot Orchestra, à l’occasion d’un spectacle de cabaret, The Tiki wonder hour, écrit par The Millionaire : « Au départ, je devais toujours tout expliquer, tout justifier. Aux Etats-Unis, les gens ont une vision assez primaire de la musique. Si tu te dis influencé par le blues du Delta ou de Chicago, tout le monde comprend. L’édifice du rock est construit sur ces bases-là et si tu n’y adhères pas, tu passes pour un alien. Nos seuls fans étaient des gens déçus par la manière dont le rock avait tourné. En Europe, en revanche, les choses ont évolué très rapidement et les gens qui achètent nos disques sont souvent d’anciens fans de techno qui commencent à en avoir assez de cette musique de studio. Ce qui se passe en Angleterre actuellement est assez symptomatique : ce sont les mêmes qui, il y a six mois, ne juraient que par la musique électronique et qui forment maintenant des groupes avec de vrais instruments, organisent des soirées où l’on danse sur Martin Denny ou Esquivel, avec derrière eux toute cette presse musicale qui tire les ficelles, qui pense avoir trouvé un bon filon pour les six prochains mois et qui lui tournera le dos aussitôt que tout ça sera retombé. En attendant, j’entends sans arrêt parler de cocktail nation, à propos de tout et de n’importe quoi. Je ne vais pas tarder à réclamer des copyrights. »
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