Inspiré des révélations de harcèlement sexuel au sein de la chaîne pro-Trump Fox News, Scandale fait oublier la banalité clinquante de sa mise en scène grâce à son démentiel trio d’actrices.
“Elles sont toutes refaites, c’est horrible !” A peine sorti de la projection de Scandale, on a pu entendre fuser les commentaires sur l’apparence des actrices, “défigurées” par le botox et les opérations de chirurgie esthétique. Il est vrai que Nicole Kidman et Charlize Theron ont complètement changé de visage. Difficile de reconnaître les interprètes des Autres et de Mad Max derrière ces masques figeant leur ancien statut de jeunes beautés d’Hollywood. Un comble, pourrait-on ironiser un peu vite, quand le sujet de Scandale porte en partie sur les diktats esthétiques imposés aux femmes dans le monde de l’infotainment audiovisuel.
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A l’origine du film, un scandale justement : les révélations sur les agissements du fondateur de la chaîne de télé Fox News, Roger Ailes, accusé en 2016 de harcèlement sexuel par plusieurs dizaines de collaboratrices. Une sorte de Weinstein des médias, ultra-influent, conseiller des puissants (de Nixon à l’homme d’affaires Rupert Murdoch, qui lui confia en 1996 les rênes de la chaîne pour en faire l’outil de propagande officielle de la droite républicaine), décédé en 2017, un an après sa disgrâce. Sa technique, pendant vingt ans, fut imparable : lancer de jeunes présentatrices vedettes à la tête de “show” et exiger en échange des gratifications d’ordre sexuel, les menaçant, en cas de refus, de briser leur carrière.
Confrontées à l’infâme marchandage de leur patron
On voit bien le genre de portrait au vitriol que Scandale aurait pu être s’il avait fait le choix de se focaliser sur cette figure de prédateur dont l’abus de pouvoir a été rendu possible, comme souvent, par un système de servitude institutionnalisée. Mais, de manière plus à propos, la caméra choisit de concentrer son regard sur l’expérience des victimes et leur prise de conscience, mettant en place une singulière proximité avec ses trois héroïnes dont les trajectoires retracent très intelligemment les différentes étapes de l’aliénation : l’une est au sommet de sa carrière et a développé un rapport “normalisé” avec celui qui l’a violée ; l’autre commence tout juste à gravir les échelons et va être confrontée à l’infâme marchandage de son patron ; la troisième, enfin, est poussée vers la sortie par ce même bourreau, et se retourne contre lui.
Avec un grand soin apporté au contexte – l’action se déroule sur fond de campagne présidentielle, d’attaques sexistes de Trump et de cyber-harcèlement –, Scandale érige le fait divers en maladie nationale symbolisée par son futur leader misogyne. Ce parti pris ne paraît pas étonnant de la part de Jay Roach, réalisateur d’Austin Powers, recyclé en auteur de documentaires politiquement engagés très à gauche ces dernières années, auquel on pardonne ici sa mise en scène heurtée, quand elle n’est pas fonctionnelle, reprenant benoîtement les codes esthétiques et clinquants de l’univers télé. Tout comme on fermera les yeux sur cette séquence maladroite où nous est dévoilée la petite culotte de Margot Robbie selon un pur procédé voyeuriste calé sur l’œil du pervers qui la reluque.
L’essentiel est ailleurs. Et il tient aux actrices. A leurs rougeurs, leur détresse, leur colère, leurs larmes et leurs forces, contenues dans des gros plans, prolongées par une voix off (celle de Theron), produisant de puissantes décharges émotionnelles. On pense surtout Margot Robbie, la plus jeune et innocente. Les deux autres ont leur cuirasse. Leur peau est un bouclier. Il est naïf de croire que Theron et Kidman, grandes prêtresses de la métamorphose et de la défiguration (citons pour seuls exemples Monster et The Hours), n’ont pas conscience de l’effet produit par leur plastique à l’écran.
A travers leur jeu, elles émettent très clairement un parallèle entre ces présentatrices enfermées dans une allure de bimbos et leur propre asservissement de stars à une image fantasmée, conforme aux canons hollywoodiens, jusqu’à complètement s’effacer. Pour renaître, et c’est la bonne nouvelle, ailleurs, en productrices de séries (Kidman avec Big Little Lies, Theron et Mindhunter). Ne restent dans Scandale que des mues, ou un effet de leur nouveau pouvoir : l’abandon de leur chair hypersexualisée au profit d’un corps mutant, à la féminité outrancière et combative.
Scandale de Jay Roach, avec Charlize Theron, Nicole Kidman, Margot Robbie (E.-U., 2019, 1 h 54)
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