Quand les aliments se rebellent contre la société de consommation: la comédie d’animation qui énerve la Manif pour tous.
Une même obsession parcourt les précédents films du duo Seth Rogen-Evan Goldberg, que ce soit en tant que scénaristes comme ici (ainsi que dans SuperGrave, Nos pires voisins) ou comme cinéastes (dans C’est la fin, The Interview) : la réaction de l’homme moderne, festif, égocentrique et immature, face à l’effondrement du monde, ou plutôt de son monde.
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Cet être inconséquent, mais irrésistiblement sympathique, prend ici la forme d’une saucisse (à laquelle Seth Rogen himself prête sa voix) et de ses compagnons d’infortune (dont une saucisse atrophiée, un petit pain accueillant, un chewing-gum ressemblant au physicien Stephen Hawking ou encore un bagel et une pita rejouant le conflit israélo-palestinien), qui comprennent avant les autres ce qu’il adviendra d’eux sitôt passées les caisses de l’épicerie. Ils seront dévorés, déchiquetés, broyés par la machine à consommer nommée humanité, dont on leur dit pourtant depuis leur arrivée sur les rayonnages que celle-ci est synonyme de paradis…
“Sausage Party” sauve l’honneur de la comédie américaine
Réalisé par deux cinéastes d’animation, dont l’un, Conrad Vernon, est un transfuge des studios Dreamworks coutumier de ce genre de satires très méta (Shrek, Kung Fu Panda), Sausage Party sauve l’honneur de la comédie américaine, qui a touché cette année le fond de la piscine – ce qui arrive lorsque le réel va, comme avec Trump, au-delà de sa propre parodie ; il devient alors plus difficile d’en rire.
La réussite de ce film-ci n’en est que plus notable, fondée sur les mêmes principes que The Lego Movie ou que l’insubmersible South Park : utiliser le clin d’œil et la connivence non pour rassurer le spectateur, mais plutôt pour le piéger et l’amener à considérer une vérité perçante, dissonante.
Le rire est une ruse, un instrument éminemment politique
Dans cette relecture charcutière du Joueur de flûte de Hamelin, le rire est ainsi une ruse, un instrument éminemment politique, et même métaphysique, aux mains d’explorateurs qui partent de tout en bas, disons de la condition sous-humaine (une saucisse, quoi de moins digne ?), pour essayer de comprendre ce qui se joue tout en haut.
C’est toute la condition humaine qui se voit ici balayée, entre deux blagues scatos et des élucubrations de tacos, de son système de désir à ses mécanismes de contrôle, de ses grands récits coercitifs à ses stratégies de libération – ces dernières se concentrant dans une ultime séquence d’anthologie dont on se souviendra, fort longtemps, comme celle de “l’orgie anti-consumériste des produits de consommation”. Il ne reste plus qu’à espérer que cette fable soit visionnaire.
Sausage Party de Conrad Vernon et Greg Tiernan (E.-U., 2016, 1 h 29)
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