A la fois très crue et très fleur bleue : la touch Judd Apatow, heureux producteur des meilleures comédies US de ces dernières années.
Se rendre à l’évidence : Judd Apatow est en train, l’air de rien, de fabriquer une des œuvres les plus singulières et importantes qui soient aujourd’hui à Hollywood. Il ne s’agit pas de nier le talent de Nick Stoller (le réalisateur) ou de Jason Segel (scénariste et acteur principal du film), mais bel et bien de reconnaître la constante intelligence d’une œuvre de producteur, la première aussi identifiable depuis longtemps (John Hughes ?). Sans Sarah, rien ne va ! (Forgetting Sarah Marshall) poursuit ainsi la cartographie sentimentale du nerd américain, entamée avec ses précédents 40 ans, toujours puceau, En cloque mode d’emploi et Supergrave, agrémentée ici du tempo particulier de l’acteur Jason Segel.
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Depuis Freaks and Geeks (série fondatrice en 1999), Segel tient dans la troupe le poste du dadais débonnaire, Droopy idéaliste aux yeux plus grands que le cœur, géant un peu pataud qu’on imagine né avec la moue et les bras ballants qu’il arbore tout au long du film. Les comédies d’Apatow sont un peu comme des enterrements de vie de garçon auxquels, de peur de tourner en rond entre deux vannes polissonnes, on aurait convié quelques filles : la trivialité débridée y croise ainsi le romantisme le plus échevelé, le scato y fricote avec le catho (mise à l’épreuve de la foi rigoriste du couple en voyage de noces), le vice y épouse la morale et Tinto Brass y sympathise avec Rohmer.
Sans Sarah, rien ne va ! – fascinante, l’énergie déployée par les distributeurs à ruiner la crédibilité des comédies US dès le titre français – ne fait pas exception : dans cette comédie de remariage en chemise hawaïenne, on discourt pour savoir si une fellation interrompue est toujours une fellation, on y parle clitoris sur une planche de surf et, tabou suprême dans le cinéma hollywoodien, on trouve le moyen d’y montrer, ni vu ni connu, son petit jésus (et pour une fois pas de réciproque féminine). Dans le même temps, le film déploie une sensibilité fleur bleue qui culmine lors de la scène de doublage musical, déchirant face-à-face entre le personnage principal (compositeur pour la série TV dans laquelle joue son ex) et l’image de sa bien-aimée projetée sur un écran géant. Chez Apatow, on ne devient pas adulte, on apprend à le devenir. Pour cela, il faut refuser les sollicitations trompeuses (verres gratuits, sourires marketés), s’éloigner du factice (un hôtel de luxe à Hawaï, une image fantasmée) pour embrasser les vrais rêves (un spectacle – certes un peu grotesque – de marionnettes).
Il y a là un tel plaisir du verbe et de la digression (merveilleuses scènes de dîners), une telle science des dialogues et de la caractérisation de personnages – joie de retrouver des têtes connues (Bill Hader, Jonah Hill, Paul Rudd, drôlissimes) et d’en découvrir d’autres (Russell Brand, gouailleur anglais à l’arrogance toute morrissienne) – qu’on n’a jamais le sentiment d’être face à un divertissement régressif pour mâle en rut. Au contraire : Forgetting Sarah Marshall est un film pour grandir, un précis de savoir-vivre en tongs, une éducation sentimentale au goût de pop-corn. Forcément salé.
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