De la campagne provençale à un premier film très maîtrisé, le parcours de Sandrine Veysset, autodidacte du cinéma.
Si l’on peut voir Y aura-t-il de la neige à Noël ? comme un conte de fées, l’itinéraire de Sandrine Veysset en évoque un autre. Le coup de baguette magique serait la rencontre avec Leos Carax sur le tournage des Amants du Pont-Neuf. Après des études de lettres et d’arts plastiques mollement suivies en Avignon, Sandrine rejoint le plateau du film près de Montpellier comme assistante à la décoration. Elle n’est pas du tout cinéphile et n’envisage aucune carrière dans ce métier, mais « Ça m’a tellement plu que j’ai laissé tomber la fac. » Enthousiasme pour l’équipe, pour la tâche (« C’était très manuel, j’ai adoré ») et pour Paris même de carton-pâte : « Je n’y avais jamais mis les pieds. Découvrir cette ville par un décor, c’était magique.«
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Le jour où elle part pour le vrai Paris rejoindre Ketal Guenin, assistant de Carax, celui-ci lui propose de s’improviser « chauffeuse » de Leos, qui n’a pas le permis. Elle accepte alors qu’elle ne connaît pas une rue de la capitale. Passe des heures en voiture avec Carax. Lui raconte son enfance, la campagne, les saisons. Il lui a fait connaître Paris, elle lui fait découvrir son univers. Il apprécie, l’encourage à écrire. « A l’époque, je ne pensais pas en faire un film. Mais au fil de l’écriture, les images sont venues. Je voyais un début dans le foin chaud de l’été et une fin sous la neige, le cycle des saisons… L’enfance remontait, déformée par la fiction.«
A force de se pencher sur le berceau, les bonnes fées tombent dedans : ainsi l’avance sur recettes. Mais le projet perd un an à cause de productions qui s’alignent sur les exigences de casting des télés. Sandrine se cabre : « C’est déjà dur de rentrer dans le film parce qu’il n’y a pas d’action, alors si on passe du temps à oublier que c’est tel acteur célèbre qui joue, c’est foutu d’avance. » Finalement, elle rencontre Humbert Balsan, qui la laisse choisir les remarquables Dominique Reymond et Daniel Duval. Elle sélectionne les sept enfants avec soin, les fait venir dans la ferme quinze jours avant le début du tournage pour leur faire oublier la « grosse machine du cinéma ». Sur le tournage, elle veille à l’équilibre des forces : « Il y a d’un côté le père avec son autorité matérielle et, en face, le bloc constitué par la mère et les enfants, mais je voulais éviter la caricature. Il fallait par exemple qu’on sente l’amour qu’elle a pour lui, montrer les aspects touchants de cet homme, ses maladresses. J’ai tourné en imaginant que le film pourrait être muet : qu’il y ait toujours une force qui ne passe pas forcément par le dire. »
Elle a cherché à retrouver le grain des films super 8 de l’enfance que réalisait son frère. « Sur le coup, il nous gonflait, mais c’est tellement bien d’avoir ces traces aujourd’hui. Je voulais qu’on parte de la couleur et qu’au fil des saisons, le film se délave. Comme quelque chose qui s’épuise. Le film est construit en spirale. Les saisons correspondent à la psychologie de la mère. Bien sûr, il y a des gens qui ne voient pas cette évolution, mais je préfère ça à des effets trop voyants. »
Ni princesse (il n’y en a pas dans tous les contes de fées) ni féministe (comme certains voudraient la cataloguer avec sa mère-courage), elle a gardé l’accent du Sud et ne tombe pas le perfecto, ni ne se coiffe pour la photo. Reconnaissante aux rencontres grâce auxquelles le film existe, elle n’a aucun complexe à sortir un premier long sans apprentissage. « Pourquoi faire une école ? J’ai appris en regardant faire les autres. Les producteurs veulent qu’on les rassure avec des courts métrages. Mais si on n’a pas envie de faire un court, comment peut-on réussirà le faire ? Moi, j’avais cette histoire à raconter, et c’était un long métrage. Point. Je ne comprends pas ce système qui veut que les gens aient fait des choses avant pour prouver je ne sais quoi. Il n’y a rien à prouver. Je ne suis pas cinéphile, je n’ai pas fait d’école : et alors ? Ce qui compte, c’est la sensibilité. »
Tout conte de fées a son secret. Sandrine ne divulguera pas ce que lui a confié Carax après avoir vu le film. Un indice quand même : elle tait ce commentaire avec un large sourire.
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