A l’affiche du succulent “Comme un avion” de Bruno Podalydès, Sandrine Kiberlain parle du prix d’interprétation de Vincent Lindon au Festival de Cannes, de la mort d’Alain Resnais, de l’équilibre vie publique/vie privée et des attentats de janvier.
Avez-vous vu La Loi du marché avec Vincent Lindon, le film de Stéphane Brizé, réalisateur de Mademoiselle Chambon dans lequel vous aviez joué ?
Sandrine Kiberlain – Oui, le film est très fort, il vous saisit. J’ai eu mal au ventre. C’est très brut, sans pathos, très vrai. Vincent (le père de sa fille – ndlr) est exceptionnel. Brizé est un cinéaste d’acteurs. Il dirige ici pour la première fois des acteurs non professionnels, et ils sont tous captivants. Aucun d’entre eux ne vous sort du film.
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Avez-vous regardé la remise des prix cannois à la télévision quand Vincent Lindon a reçu le prix d’interprétation ?
Oui… (grand sourire ému)
Votre fille Suzanne (à laquelle Lindon a dédié son prix) était à vos côtés ?
Si vous saviez ! Ma fille était en voyage scolaire en Italie. J’étais au téléphone à droite avec Vincent, à gauche avec Suzanne et en même temps je filmais ce qui se passait à la télévision pour qu’elle puisse voir ! Vincent n’a pas arrêté de me dire que c’était tant mieux, que comme ça Suzanne était épargnée par tout ce flan médiatique.
Comment trouvez-vous un équilibre quant à ce que vous livrez au public de votre vie privée ?
Je ne calcule pas. Par exemple, j’ai eu en horreur pendant des années l’idée de parler du coma dans lequel je suis tombée à la naissance de Suzanne, horreur aussi qu’on en parle à ma place. Et puis, tout d’un coup, c’est sorti pendant une interview. Mais je n’avais rien prévu. Parfois je trouve ça dégueulasse de parler de soi, parfois je pense que ça peut faire du bien. Après coup, je me le reproche. Mais c’est fait. J’en ai parlé, c’est sans doute que ça devait sortir cet “accident de la tête” dont je ne voulais pas parler. Je crois que je voulais faire le parallèle entre la vie et la fiction. La vie suit souvent ce qui nous arrive dans les films, les états dans lesquels nous mettent nos rôles. Ensuite, on ne s’étale pas sur nos vies, Vincent et moi. Mais dire certaines choses simplement permet aussi de se protéger en éloignant la curiosité malsaine.
Vous n’étiez pas déçue que Comme un avion, le film de Bruno Podalydès dans lequel vous jouez, n’ait pas été sélectionné à Cannes ?
Si, très, mais plus pour Bruno que pour moi. Je pense qu’il l’aurait mérité, et qu’il en aurait été très heureux. Il y a un côté festif qui est important. Et puis Cannes, c’est le cinéma d’auteur, et Bruno fait depuis des années des films avec une vraie ligne, des partis pris qui n’appartiennent qu’à lui. Mais il n’y a pas que Cannes dans la vie. Et puis je respecte le travail des sélectionneurs, ils ont des équilibres à assurer.
Vous y jouez un beau rôle. Un personnage à double face. Rachel est indulgente, patiente, aimante avec son mari, Michel (Bruno Podalydès). Pourtant, on découvre qu’elle n’est pas aussi simple qu’on le croyait…
Je pense que c’est un petit arrangement entre eux qui, sans doute, n’a jamais été évoqué. Ils ont juste le talent de savoir vivre en couple, d’être dans une certaine harmonie, de ne rien attendre de plus du quotidien que ce qu’il leur offre, d’en faire quelque chose, tout en restant eux-mêmes ensemble et séparément. Ce qui est quand même le rêve de chacun, je crois.
Comment avez-vous fait la connaissance de Bruno Podalydès ?
Bruno a réalisé un petit film pour les obsèques d’Alain Resnais, dont il était proche. Sabine Azéma lui avait confié les clés de l’appartement d’Alain et laissé carte blanche, et Bruno a tourné quelque chose de très beau sur la vie d’Alain. On était tous soudés, nous les acteurs d’Aimer, boire et chanter, son dernier film, dont l’avant-première eut lieu, assez curieusement, le jour de son enterrement. Ce soir-là, il y a eu un dîner et on ne voulait pas quitter Sabine. Et Bruno m’a parlé de son projet de film.
Alain Resnais fut une rencontre importante pour vous…
Il a eu une curiosité incroyable, jusqu’au dernier souffle. Il avait besoin de sentir l’autre bienveillant, de se sentir en harmonie. C’est pour ça qu’il a travaillé avec des gens qui avaient manifesté l’envie de travailler avec lui. Il était anticonflictuel. Il devait se sentir libre. J’étais comme la dernière venue de cette “troupe” d’acteurs. Sabine m’a demandé d’allumer les bougies pour ça, je crois, le jour des obsèques. J’ai l’impression d’avoir rencontré un nouvel ami et qu’on était des ados, joyeux et ludiques. Alors qu’il avait 91 ans. Je retrouve ça avec Bruno, cet état d’esprit, cette liberté, cette enfance… Le jeu. Ne pas chercher ce qui va plaire, mais ce qu’est leur vision.
Floride de Philippe Le Guay avec Jean Rochefort, Imagine de Benoît Graffin, Quand on a 17 ans d’André Téchiné… Vous tournez beaucoup ! L’effet du César remporté en 2014 ?
Oui et non parce que je suis en vacances en ce moment (rires). Mais la vérité, c’est que souvent, après un prix, les gens n’osent plus trop vous appeler. Les créateurs ont un côté Pygmalion, ils aiment bien découvrir des nouveaux acteurs… Mais oui, je tourne beaucoup. D’abord parce que j’aime ça, et parce que les réalisateurs doivent le ressentir. Une chose entraîne l’autre.
Quels souvenirs vous ont laissés les attentats de janvier ?
Je n’arrive pas à formuler avec des mots à la hauteur de ce que j’ai ressenti. J’en garde l’impact, comme pour le 11-Septembre. Parler me semble réducteur et j’ai l’impression que tout a été dit. J’espère qu’on en gardera l’impact, ce que cela nous a fait physiquement.
Ça vous inquiète pour l’avenir ?
C’est la première fois de ma vie que je ressens une inquiétude qui dépasse mon petit monde personnel. On a tous nos soucis. Mais cette inquiétude est différente, parce qu’elle est globale. On est tous sur le même bateau. Et le cinéma est également concerné.
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