La Cinémathèque française consacre une rétrospective à ce cinéaste controversé. Elle est accompagnée de la sortie de deux livres et d’un documentaire.
Maître du cinéma d’action moderne, Fuller est un des chaînons manquants entre les cinémas américain et européen. Aussi patriote qu’antiraciste, c’était d’abord un grand storyteller. Lorsqu’on le rencontra dans les années 1980 sur un tournage, ce petit homme à l’énergie intacte à 70 ans passés, nous débita à toute berzingue deux ou trois synopsis de films jamais tournés. Son attachement à la vérité, lié à son passé de journaliste, lui a fait rencontrer pas mal de difficultés.
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En 1951, son troisième film, J’ai vécu l’enfer de Corée, cause de sérieux remous en montrant l’exécution d’un prisonnier de guerre par l’armée US. Le débat sur Fuller rebondit en Europe en 1953, où Le Port de la drogue, thriller d’espionnage anticommuniste, déchaîne la presse communiste italienne.
Quand le film sort en France, il est censuré : titre et dialogues parlent de drogue alors que dans l’original il est question d’un microfilm. Son œuvre antiraciste, Dressé pour tuer, tirée d’un roman de Romain Gary sur la tentative de déprogrammation d’un chien conditionné à attaquer les Noirs, sera mise à l’index aux Etats-Unis. Outré, Fuller quittera son pays pour la France.
Pour reprendre l’équation de Fuller dans Pierrot le Fou de Godard, le cinéma est un agglomérat d’états et de sentiments extrêmes (amour + haine + action + violence + mort = émotion), qu’il a souvent appliqués simultanément dans son œuvre, au risque de la cacophonie.
C’est éclatant dans un de ses grands films, Shock Corridor, sur l’enfer psychiatrique. Cette disparité émotionnelle transparaît dans son style formel : il fait feu de tout bois pour rendre une scène intense et utilise aussi bien le mitraillage de gros plans que le plan-séquence. Un effet déstabilisant, synonyme de modernité.
Virtuose du film noir, auquel il apporte une énergie nouvelle, c’est aussi un grand cinéaste de la guerre. Engagé pendant la Seconde Guerre mondiale, il retrace son expérience dans Au-delà de la gloire (1980), œuvre lyrique et froide portée par Lee Marvin, en antihéros impavide.
Fuller sera une des grandes influences de la Nouvelle Vague et d’autres cinéastes non affiliés. Une scène de Pickpocket de Robert Bresson s’inspire de la séquence d’ouverture du Port de la drogue. Même un cinéaste étiqueté janséniste ne pouvait pas être indifférent au génie iconoclaste de Fuller. Vincent Ostria
Rétrospective Samuel Fuller Jusqu’au 15 février, Cinémathèque française, Paris XIIe
Samuel Fuller : un homme à fables de Jean Narboni (Ed. Capricci), 160 p., 18 €
Samuel Fuller – Le choc et la caresse ouvrage collectif (Yellow Now), 352 p., 38 €
A Fuller Life Documentaire de Samantha Fuller (E.-U., 2013, 1 h 20), en salle
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