Où Sam Raimi, le réalisateur, raconte comment, adolescent, il a dévoré le comic-book, et comment Hollywood l’a laissé tourner librement… Entretien Joseph Ghosn et Olivier Nicklaus
Auréolé du triomphe, sur le sol américain, du deuxième épisode de Spider-Man, Sam Raimi affiche pourtant lors de la promo parisienne une modestie bonhomme. Vêtu comme sur ses tournages d’un costume-cravate à la Gilbert et George, il arrive un attaché-case à la main comme s’il allait nous faire signer un contrat d’assurance. Mais c’est sa sincérité et sa simplicité qu’on retiendra : s’il a réussi un film d’auteur qui est aussi une réussite commerciale, il ne la ramène surtout pas.
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Nous avions beaucoup aimé le premier Spider-Man et partions voir le second avec un peu d’appréhension. Or, il est meilleur.
Moi aussi, c’est avec pas mal d’appréhension que j’ai signé pour le deuxième ! Au départ, je ne savais pas quoi faire. Mais j’avais tellement de curiosité pour ces personnages. C’est seulement à la fin du premier Spider-Man que j’ai compris qui était le personnage. Et avec ce deuxième épisode, j’ai eu l’occasion d’explorer son identité…
Dans le premier épisode, il découvrait que son corps changeait, comme à la puberté. Ici, c’est la découverte des responsabilités de l’âge adulte. Pourtant, ce film s’adresse d’abord à des adolescents.
Ce n’est pas faux. Mais je n’ai pas pensé à ça. La seule question que je me suis posée, c’est : qui est ce personnage ? Quand on l’a quitté dans le premier épisode, il tournait le dos à cette fille qui le désire tant, parce que pour la première fois de sa vie il découvre le sens des responsabilités. Ici, il doit donc suivre ce chemin. Que veut dire : être responsable ? Et qu’est-ce que ça coûte ? Quand j’ai commencé à y penser je me suis dit que cette responsabilité allait le submerger.
Vous vous inspirez beaucoup de la première période du comic-book, qui date des années 60.
J’ai découvert Spider-Man enfant, à environ 8 ans. Mon frère aîné, Xander, qui est aujourd’hui décédé, m’a envoyé un exemplaire du comic-book. Je n’étais pas réellement intéressé par les comic-books, mais parce que c’était mon frère Xander que j’adorais, parce qu’il prenait le temps de partager quelque chose avec moi, alors j’ai dévoré Spider-Man. Et j’ai lu les comics entre 69 et 77. J’ai tout de suite compris que le personnage était en proie à des contradictions, à l’inverse des héros manichéens comme Superman ou Batman. Quand on est môme, on est davantage habitué aux clivages blanc et noir, bon et méchant. Et puis, vers 11 ans, je me suis attaché à ses faiblesses, et assez vite, je l’ai préféré à Batman ou Superman. A 16 ans, j’étais fou de ce personnage, si proche de la complexité d’un être humain. Là, ça ne m’intéressait plus du tout de voir par exemple un extraterrestre faire semblant d’être un humain. Je préférais voir un gamin obligé de faire ses devoirs, forcé de cacher des choses à sa tante. Ces pouvoirs n’étaient pas qu’un don, c’était aussi une malédiction. C’était passionnant pour moi. Et aussi le fait qu’il ne fasse pas l’unanimité : j’étais moi-même un ado ringard, je n’avais pas de fric, et les filles étaient peu intéressées par moi. Il avait des secrets, il avait des problèmes, il n’était pas que glamour, et j’étais relié à ça.
Comment, dans le contexte des studios hollywoodiens, avez-vous réussi à signer un film aussi personnel ?
C’était une situation unique. Je ne crois pas que ça donne une idée exacte de ce que les studios font aujourd’hui. Aussi étonnant que cela puisse paraître, j’ai eu droit à une liberté incroyable. Et je n’ai pas trop envie de demander pourquoi parce que j’ai peur qu’ils me la reprennent ! Ils me l’ont donnée sur le premier, alors que je pensais qu’ils me forceraient à créer un personnage carré, qui a réponse à tout. Mais non, ils m’ont fichu une paix royale. Ensuite, comme le premier a tellement bien marché, il n’était pas question que cette liberté soit remise en cause.
Pendant une grande partie du film, vous vous acharnez sur Peter Parker.
Le public adore voir Peter Parker puni.
Donc il est masochiste, et le public est sadique : c’est une vraie relation SM.
Absolument, c’est une relation SM ! Ils voudraient le voir souffrir encore deux fois plus. Mais vous avez raison : tous mes héros souffrent. Mais nous souffrons tous : alors, pourquoi pas eux ? Je ne connais personne pour qui tout va bien. Peter Parker souffre, il est incompris, il a l’impression de ne pas avoir ce qu’il mérite. C’est là que je me sens proche de lui : pas quand il vole dans la ville par-dessus les gratte-ciels. Il est séparé de la fille qu’il aime, il culpabilise par rapport à sa tante, etc. : c’est de ça que ma propre vie est faite.
Les scènes d’intimité sont très fortes : comment avez-vous travaillé pour obtenir ça ?
Nous avons beaucoup écrit. Beaucoup d’auteurs ont travaillé sur le scénario et, pendant un an, on s’est torturé les méninges pour savoir qui étaient ces personnages, ce qu’ils voulaient, etc. Ensuite, il y a eu le travail avec les acteurs. Tobey n’est peut-être pas la personne la plus intelligente, ni la plus belle, mais il a ce truc unique dont j’ai presque peur de parler parce que je ne voudrais pas l’abîmer. Il a une capacité à toucher la vérité dans des moments de fiction, à la relier à sa vie, et à la restituer de façon à ce que vous vous disiez : « Oh, mais je connais ce sentiment. » Et il y a une alchimie entre Kirsten et lui. Jusqu’ici, je n’aimais pas beaucoup ce terme, mais c’est sans doute parce que je n’en avais pas beaucoup vu. Dans leur cas, il n’y a pas d’autre terme. Comme pour Bacall et Bogart.
Il y a beaucoup de clins d’œil humoristiques dans le film. Il y en a un qui est particulièrement crypté : c’est la scène où Spider-Man se retrouve en costume dans l’ascenseur avec un type qui le regarde en coin en souriant. Or ce personnage est joué par l’un des acteurs de la série gay Queer as Folk. Avez-vous voulu vous amuser avec le côté icône gay de Spider-Man ?
Il y a un website qui est consacré à l’homosexualité supposée de Spider-Man : je vous le conseille. Pour répondre à votre question, je n’ai su qu’après que l’acteur Hal Sparks était connu par les gays pour son rôle dans Queer as Folk. Non, ce que je voulais montrer dans cette scène, c’est le côté trivial de la vie d’un super-héros. Et même le côté absurde de cette vie, comme ce costume stupide. Quand vous y pensez, c’est quand même grotesque, ce kid qui a cousu son propre costume, et quel costume… ||
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