Connu pour ses relectures ironiques des genres avec Evil dead, Darkman, Mort ou vif, Sam Raimi change de braquet avec le superbe Un Plan simple, au classicisme mature et rigoureux. Rencontré à Los Angeles, le cinéaste explique ici pourquoi, en fait, les choses ne sont jamais simples.
Est-ce un signe ? C’est dans le dédale d’une société de postproduction nommée Big Time, aux confins de Santa Monica, qu’on trouve Sam Raimi. Pour confirmer cette promotion au rang des gros joueurs, l’image sur la table de montage montre un Kevin Costner en tenue de base-ball dans For the love of the game, une « romance » sportive à sortir, calculée pour replacer la star dans le coeur des Américains.
Pas rasé, Raimi est marrant et sérieux à la fois comme ses films jusqu’à Un Plan simple, qui n’est plus marrant du tout mais très sérieusement réussi. Il frappe d’abord à une porte pour emprunter une cigarette, à une autre pour demander du feu et, au moment où on se demande si au bout de ce couloir Alphaville il ne va pas quémander un bout filtre, invite l’inquisiteur à s’asseoir à une table de cafétéria.
Tout le monde sait que vous avez demandé des conseils à vos potes les frères Coen, qui ont tourné Fargo dans le même coin.
Sam Raimi Mes questions étaient : quels sont les secrets pour tourner dans la neige ? Est-ce que vous gardez vos lentilles et objectifs constamment sur la glace, pour les empêcher de s’embuer Ou est-ce que je dois apporter un système de chauffage ? A piles ? Comment je trouve mon endroit où tourner, où me placer, sans saloper la neige et devoir passer une demi-journée à effacer les traces de pas ou de pneus ? Donc j’ai énormément profité de leur expérience, je leur ai laissé faire toutes les erreurs (rires)…
Quelle est l’histoire de ce projet ?
Elle est longue, mais il y a une morale. La première fois que j’ai lu le script, puis le roman (qui sont très différents), c’était en 1994. Mais le livre avait été acheté avant ça par Mike Nichols, ensuite Ben Stiller l’a eu pendant un temps. La compagnie était Savoy Pictures, qui a fait faillite depuis. En 94, ils voulaient que je le fasse, mais comme c’était un film dans la neige et que l’hiver approchait, je devais le faire avec seulement dix semaines de préparation. Je trouvais le matériau tellement bon que je ne voulais pas lui faire une injustice. La seule chose dans laquelle je suis vraiment bon, c’est justement la préparation ! Donc j’ai dit que je ne m’en sentais pas capable. Le film ne s’est pas fait cette année-là, mais j’ai regretté ma décision : il vaut mieux reconnaître ses carences et essayer de les surmonter que de fuir. Bref, le script et les droits atterrissent dans les mains de Scott Rudin (La Famille Addams…) à Paramount. Quand j’apprends ça, je vais le trouver et lui dis que j’ai fait une terrible erreur en refusant ce film et il me dit « Tu l’as dit, bouffi, parce que t’es numéro 15 sur ma liste de réalisateurs possibles. Il y a quinze metteurs en scène à qui j’aimerais confier ça plutôt qu’à toi » (rires)… En 1997, le film n’est toujours pas fait, j’appelle Scott : « Hé, qu’est-ce qui se passe ? T’es toujours en bas, mais maintenant t’es numéro 8. » Et puis j’ai lu que John Boorman allait le faire (je ne sais pas quel numéro il était), mais ce qui me faisait encore plus rager, c’est qu’il avait Bill Paxton pour le rôle principal. En 1994, j’avais parlé du script à Bill, qui adorait ça et voulait le jouer, sauf qu’à l’époque il n’en était pas question parce que Nicolas Cage était sur le coup. Mais je connaissais Bill depuis longtemps, j’avais failli le mettre dans Darkman, et on avait joué ensemble dans un film. Donc, le truc avait déjà fait une boucle, et plus que ça encore, parce que peu de temps après, Rudin m’appelle et me dit « Tu sais pas ? Ben, ton numéro est sorti. Boorman ne peut plus faire le film, donc il est à toi. » Et moi je dis « Super, sauf que là je dois faire un film pour Warner, ils ont dépensé tout ce fric, je ne peux pas me tirer juste comme ça. » Il y a eu une pause au téléphone. « T’as mon numéro, pour me joindre ? », il m’a fait. « Bien sûr. Eh bien, perds-le ! » Et là-dessus il raccroche, pas doucement (rires)… Bien sûr, j’ai encore regretté, d’autant plus que mon film à Warner s’est cassé la gueule. Et Boorman était de nouveau à la batte avec Un Plan simple, Billy Bob Thornton est dans le film de Boorman ce qui me rend encore plus furax parce qu’il devait être dans mon film à Warner ! Et puis je reçois ce coup de fil de Rudin : « Est-ce que ça t’intéresse de faire The Out of towners ? » Je dis « Non, mais ça m’intéresse toujours de faire Un Plan simple« parce que pendant ce temps-là, Boorman s’était encore une fois retiré du projet. Je n’ai jamais su si Scott m’appelait en réalité pour me donner le film mais d’une façon détournée, pour ne pas avoir l’air de céder , toujours est-il que j’ai hérité du projet, après toutes ces péripéties. Scott Rudin n’a pas voulu son nom au générique, je ne sais pas pourquoi. Voilà, vous savez tout.
Comment avez-vous travaillé avec Scott B. Smith, l’auteur du bouquin ?
Il y avait beaucoup de traces de pas dans la neige, beaucoup de réalisateurs dessus, je ne sais plus combien de scripts écrits. Et quand j’ai travaillé avec Scott B. Smith, je me contentais de lui dire « J’aimais bien cette scène que tu avais dans le script numéro 5. J’ai besoin de ci, de ça. La scène de sexe, on oublie. » Je ne suis pas bon avec le sexe, et puis pour moi, dans ce film, le sexe c’est l’argent. Et il allait pêcher des éléments dans les scripts précédents. Le script est différent du roman, en ce sens que dans le livre on est constamment dans la tête de Frank, le personnage joué par Paxton : on commet le péché quand il le fait, etc. La voix off est un grand outil pour créer cet effet. Mais je ne voulais pas de voix off tout du long.
Tout le monde parle de « nouveau départ » pour vous, stylistiquement, comme si tout ce qu’il y avait avant (Evil dead, Mort ou vif…) comptait pour du beurre.
(Rires)… Je ne voulais pas faire de style avec ce film. Je voulais juste servir cette histoire le mieux possible. Je viens d’un coin du Michigan assez similaire à ce qu’on voit dans le film, des petits patelins de fermiers ; c’est sur la même latitude que l’endroit où on a tourné, la frontière du Minnesota et du Wisconsin. Donc je comprenais ces personnages et m’identifiais à eux. Ma question était toujours « Comment obtenir ce que Scott accomplit dans le roman, le même effet, mais différemment ? » Et mon seul instrument, c’était les acteurs, leur performance. Rester sur Bill Paxton, comprendre ce qu’il ressent, ce qu’il pense. C’est pour ça que je crois avoir eu un pot immense avec lui : Bill n’est pas terrible physiquement, pas terriblement intelligent non plus, mais il est le Monsieur Tout-le-monde américain. Et le personnage est américain en ce sens qu’il convoite cet argent. C’est dans notre psyché nationale de convoiter de l’argent ! D’habitude, je fais jouer la caméra. Là, il n’en était pas question. J’ai eu un rapport avec les acteurs sur ce film que je n’ai jamais eu avant, leur contribution aux rôles a été énorme. Mais pour répondre à cette histoire de nouveau départ, en un sens, les gens ont raison. J’ai envie d’explorer d’autres choses. Quand j’ai fait mes films précédents, les deux Evil dead, Darkman, c’est ce qui m’intéressait, c’est ce que j’étais à l’époque. Maintenant je suis plus vieux, je suis marié, j’ai des enfants. Ce ne serait pas honnête pour moi de repiquer à ces trucs-là, parce que mon goût a changé. Je ne voudrais jamais faire un film d’horreur en me pinçant le nez. J’aime encore trop ça, je respecte encore trop ça. Donc, oui, mon ambition est de faire des choses différentes.
Est-ce que le film a marché aux Etats-Unis ?
Non. Les critiques ont été très bonnes dans l’ensemble, Billy Bob va peut-être gagner l’Oscar pour le meilleur rôle secondaire. Mais les gens ont eu un problème avec la fin. Dans un film américain, c’est OK de tuer tout le monde, c’est OK même de perdre du fric. Mais le brûler, alors là non. C’est anti-américain. C’est criminel.
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