Loin du téléfilm-dossier manichéen, Sa vie à elle mesure toute la complexité de la question du voile islamique. Voilà enfin le quatrième et dernier volet de la série d’Arte, Les Années lycée, ensemble à la programmation curieuse puisque tout avait débuté il y a plus d’un an avec Un Air de liberté d’Eric Barbier et […]
Loin du téléfilm-dossier manichéen, Sa vie à elle mesure toute la complexité de la question du voile islamique.
Voilà enfin le quatrième et dernier volet de la série d’Arte, Les Années lycée, ensemble à la programmation curieuse puisque tout avait débuté il y a plus d’un an avec Un Air de liberté d’Eric Barbier et Le Péril jeune de Cédric Klapisch le troisième volet, Attention fragile, signé Manuel Poirier, est passé le mois dernier. Chaque réalisateur devait chroniquer une année de lycée correspondant à sa génération. Sa vie à elle est l’exception qui confirme la règle puisque Romain Goupil, ancien soixante-huitard, se penche sur l’année 95. Comment un type formé autant par la politique que par le cinéma allait-il filmer la jeunesse contemporaine dite dépolitisée de « notre vaste présent post-historique » ? En se concentrant sur la grande affaire « politique » ayant agité le monde lycéen en 95 : le port du voile islamique dans l’enceinte scolaire. Goupil concentre son film sur une semaine durant laquelle Yaqine, excellente élève sans histoire, se met subitement à porter le tchador sans aucune explication ; toute sa famille, ses amis, l’administration scolaire lui tombent dessus ; Yaqine se fait exclure ; puis elle est réintégrée mais dans un autre établissement et après avoir renoncé à porter la pièce de tissu litigieuse. En bon dialecticien rompu à toutes les discussions, Goupil présente tous les arguments à verser au dossier : Yaqine murée dans le silence et la légitimité de sa liberté individuelle, les frangines intégrées qui ne comprennent pas (scènes qui rappellent le Douce France de Malik Chibane), le père bon musulman mais partisan de la discrétion, les profs et le proviseur lancés dans de furieux débats sur la laïcité, la démocratie, la loi républicaine, etc. Loin d’être agressive ou manipulée par un réseau, Yaqine est calme, intelligente, cultivée : c’est ce contraste entre son image et le symbole du voile que personne ne semble supporter. Loin d’être prisonnier d’une certaine rigidité rhétorique, Goupil affine et « dévoile » toute la complexité du problème, en proposant notamment des images qui contredisent la parole. Exemple le plus frappant : le père explique à Yaqine qu’il a toujours été libéral dans l’éducation de sa fille, pendant que celle-ci l’écoute agenouillée, lui lavant les pieds comme une esclave le ferait pour son prince. Goupil pose un tas de questions mais ne livre aucune réponse toute faite. Sa vie à elle impressionne aussi par l’originalité de sa construction, quasi structuraliste : plutôt que de dérouler son histoire jour après jour, Goupil a fragmenté sa narration, et tout commence dans l’espace exigu de la salle de bains, lieu privé où l’on peut cacher des trésors d’intimité ; Goupil traite ensuite les scènes chez le proviseur, puis les scènes de famille, les scènes au lycée, etc. Le réalisateur ménage ainsi une espèce de puzzle à suspense où plus l’espace s’élargit, plus le piège se referme progressivement sur Yaqine. Loin d’un dossier filmé de façon réductrice du genre « démocratie contre obscurantisme », Sa vie à elle est un vrai morceau de cinéma qui a l’intelligence de ne pas simplifier une question redoutablement retorse et préfère se terminer par des points de suspension…