Un documentaire sur Abou Ghraib desservi par des procédés clinquants et racoleurs.
D’où vient que, dans S.O.P., récipiendaire de l’Ours d’argent à Berlin cette année, tout paraisse irréel ? Errol Morris, star du documentaire américain (il est l’auteur du Dossier Adams, en 1988, qui avait permis de disculper un condamné à mort), réalise, quatre ans après The Fog of War (oscar du documentaire 2004), un film sur les photos d’Abou Ghraib : des militaires de l’armée américaine, chargés de garder des soldats irakiens, s’amusaient à sadiser leur détenus et à se prendre en photo dans ces poses humiliantes. Sur certaines des photos, on les voit sourire à côté du cadavre d’un des prisonniers, mort dans sa cellule dans des conditions louches. Les soldats ont depuis été condamnés à des peines plus ou moins lourdes. Morris a retrouvé la plupart d’entre eux, plus quelques enquêteurs (hélas, pas les prisonniers…), et les a convaincus de témoigner. On découvre ainsi que Lynndie England – l’exquise soldate de première classe qui confondait les hommes avec des chiens – souffre d’un léger strabisme. Que des liens de soumission sexuelle existaient entre certains des gardiens – malheureusement, le documentaire ne nous permet pas de rencontrer (il purge une peine de dix ans de prison) le caporal Charles Graner, qui semble au cœur de ces petites activités. Mais, au-delà du cas de ces soldats de base qui ont abusé du seul pouvoir qu’ils avaient, l’enquête de Morris démontre surtout que les supérieurs hiérarchiques de ces bourreaux au quotidien, qui n’ont jamais été inquiétés, ne pouvaient ignorer de telles exactions, qu’ils les encourageaient même : elles font partie des moyens répertoriés pour détruire psychologiquement les prisonniers. Le fait même que certains gardiens soient des femmes n’était sans doute pas innocent – quoi de plus outrageant, pour un musulman, penseraient les “psychologues” militaires américains, que de se voir maltraiter par une femme ? On atteint évidemment des degrés dans l’horreur assez stupéfiants. D’où vient alors que ce qui devrait nous révulser nous laisse toujours un peu à distance ? Ici, tout sent le show-biz : scènes de reconstitutions hideuses et spectaculaires (la mâchoire d’un chien en gros plan, merci), scènes de transition et habillage en 3D (ces cartes à jouer qui tombent au ralenti en tournant dans le vide…), musique surexpressive de Dany Elfman (on n’est pas chez Tim Burton !), image lisse de Robert Richardson (le chef op fétiche du subtil Oliver Stone…). Du coup, tout ressemble à une fiction, et nous laisse étonnamment froid, pour ne pas dire indifférent. Malaise.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}