Comédien, musicien et aujourd’hui cinéaste : Ryan Gosling est passé derrière la caméra pour l’amour de Detroit, des ambiances dark et du travail en équipe. Bascule réussie avec « Lost River ».
Voilà près d’un an, Ryan Gosling présentait sa première réalisation à Cannes. Loin de l’atmosphère dark et onirique du film, l’interview se fit un jour de pluie, sur le toit d’un immeuble de la Croisette. La complicité fut immédiate, vu que nous avions pris soin d’enfiler un T-shirt Mickey : un clin d’œil à ses débuts dans le show télévisé pour enfants The Mickey Mouse Club. Entre professionnalisme, fraîcheur et juvénilité assumée, l’acteur de Drive nous est apparu incroyablement à l’aise dans ses habits de jeune cinéaste (très) prometteur, d’artiste total.
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Quand avez-vous décidé de réaliser ce film ?
Ryan Gosling – Il y a trois ans, j’ai travaillé quelques jours à Detroit et j’ai vraiment éprouvé un coup de foudre amoureux pour cette ville. L’année suivante, j’y suis retourné aussi souvent que possible. Puis j’ai emporté une caméra avec moi et je me suis mis à tourner. Peu à peu, le film prenait forme dans ma tête.
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Comment est né le récit ?
Detroit est un lieu étonnant parce qu’il charrie beaucoup de fictions potentielles. Il suffit de se balader dans les rues pour avoir envie d’y raconter des histoires. Ce qui est inspirant ici, c’est à la fois ce qu’on a sous les yeux mais aussi ce qui a disparu. Detroit est plein de friches, de choses qui tombent en lambeaux. Par exemple, on peut au coin d’une rue se retrouver face à une cage d’escalier. Mais elle n’est reliée à rien. Il n’y a plus d’immeuble autour. Les fictions qu’engendre la ville tiennent à ça : essayer de deviner ce qui a pu arriver à cet immeuble. La ville est lacunaire et appelle la fiction à venir boucher les trous.
Avez-vous rencontré des habitants de Detroit, leur avez-vous posé des questions pour mieux appréhender la ville ?
Bien sûr… J’ai interrogé les habitants des quartiers qui me procuraient les plus fortes émotions. Mais la question qu’on s’est posée avec l’équipe, c’est essentiellement : comment filmer ce qui n’est pas là. Aux Etats-Unis, il y a ce qu’on appelle les villes fantômes, ces bourgades de western conservées en l’état et devenues des musées du XIXe siècle. Detroit n’est évidemment pas ça, on y vit toujours, mais c’est une ville qui a quand même un fantôme, celui de l’opulente cité du XXe siècle qu’elle a été. J’ai imaginé un film qui porte cette mémoire, qui parle de cette perte. Mais évidemment on ne peut pas essayer d’attraper ça pour le mettre dans son plan. Avant, il faut avoir pris le temps de faire vraiment l’expérience de la ville.
Les effets de la crise économique sont donc au centre du récit de Lost River.
J’avais envie d’imaginer une fiction de la crise, mais dans une approche très émotionnelle, du point de vue de la souffrance des victimes, de ces familles qui voient soudain leurs vies dévastées. M’est donc apparue cette piste narrative très simple : l’histoire d’une femme qui a une famille et rêve seulement d’avoir une maison pour pouvoir l’élever. Alors elle lutte pour faire tenir ce rêve. L’idée suivante a été d’imaginer autour des murs de cette maison un cauchemar éveillé. J’avais envie d’un film qui se tienne à la lisière de ces deux registres : d’un côté le réalisme social, de l’autre un conte onirique et sombre.
Quels sont les cinéastes dont le travail vous a nourri ?
C’est impossible de ne pas être influencé par les films que vous voyez, qui vous marquent, qui continuent à vivre en vous… Mais ce qui détermine le plus le profil d’un film, c’est le lieu où l’on tourne, l’argent que l’on a et le temps dont on dispose. Le style du film est pragmatique. Ce sont des choix guidés par des contraintes. Après, on peut toujours rêver aux plans idéaux qu’on a envie de tourner, mais la mise en scène, c’est aussi très matérialiste. Par exemple, dans mon scénario, le petit garçon avait un rôle très important. Mais lorsque j’ai engagé le jeune comédien, je me suis très vite rendu compte qu’il n’aimait pas la caméra. Dès qu’il la voyait, il s’enfuyait. Ça rendait le tournage un peu compliqué ! (rires) Mais je n’avais pas envie de changer d’acteur, j’adorais son naturel. Alors j’ai changé de mise en scène. J’ai parlé avec le chef opérateur et nous nous sommes transformés en reporters animaliers. On le filmait de loin, embusqués derrière des bouts de décor, toujours à la longue focale, aux aguets… D’après ce que j’ai entendu dire, ça s’est passé un peu comme avec Marlon Brando sur Apocalypse Now. Il venait une fois, ne se souciait d’aucun emplacement de caméra, faisait ce qu’il avait à faire et quittait le plateau. Il y avait intérêt à ne pas le rater. Moi, je n’ai pas de problème avec ces contraintes. Autre exemple : on tournait dans une épicerie. Une dame voulait acheter des chips et se moquait qu’un film se tourne dans son drugstore. Elle est entrée dans le champ avec ses courses. Le comédien de la scène, Matt Smith, est tellement fort en impro qu’il l’a intégrée à la scène, a joué avec elle pendant la prise. C’est ce genre de happening qui emmène un film vers la vie.
Vous n’avez pas imaginé jouer dans votre film ?
Réaliser représente déjà pas mal de boulot. (rires) Je ne sais pas comment font les cinéastes qui parviennent à jouer dans leurs films. J’aimerais bien y arriver un jour. Mais pour l’instant, ça me paraît vraiment impossible.
Vos activités d’acteur, puis maintenant de cinéaste, ne doivent plus vous laisser beaucoup de temps pour la musique et votre groupe, Dead Man’s Bones…
Non, c’est le moins qu’on puisse dire. (rires) Mais réaliser un film est une expérience totale. On bosse sur la musique – j’ai composé quelques morceaux – mais, en plus, on écrit. Et on filme, bien sûr. Si j’ai aimé appartenir à un groupe, c’est parce que j’adore travailler avec les autres. J’aime la collaboration. Aujourd’hui, c’est la réalisation qui me fait vivre ça le plus intensément.
Le film ressemble beaucoup à la musique de Dead Man’s Bones. C’est la même atmosphère, le même rapport au gothique…
Ah merci… Ça me fait plaisir. C’est un univers qui m’intéresse vraiment. Ça doit être parce que je suis… gothique. (rires)
Ado, vous aviez déjà cette sensibilité ? Dans vos choix vestimentaires, musicaux ?
En fait, je travaillais déjà (aux côtés de Britney Spears, Christina Aguilera et Justin Timberlake dans le show télévisé The Mickey Mouse Club – ndlr). Je passais mes vacances à voir des tas de films. De toutes sortes, sans hiérarchie. J’étais un peu boulimique.
Citez-en un qui vous a sidéré.
Hum… Howard the Duck !
Qu’est-ce que c’est ?
Vous n’avez pas vu Howard the Duck ?! C’est un des films les plus fous qui soit, l’histoire d’un canard. C’est le récit de sa vie, sur une autre planète, peuplée de canards. Mais c’est tourné de façon très sérieuse, très adulte. Il y a une scène où il s’écrase dans l’appartement d’une dame. Mais elle aussi est un canard… Elle est nue, elle prend une douche, mais c’est un canard ! C’est un film qui prétendait être commercial (produit par George Lucas en 1986 à destination du jeune public, le film a été un accident industriel – ndlr) mais qui au fond est complètement expérimental. Je crois que peu de films m’ont autant affecté enfant. Et j’ai grandi avec lui. Vraiment, vous devriez faire l’expérience de voir Howard the Duck… Mais attention, c’est vraiment perturbant… (rires)
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