Le nouveau film du duo Hamé et Ékoué confirme le souci du contemporain, l’inspiration et la maîtrise des deux rappeurs de La Rumeur en matière de thriller urbain socioréaliste.
Hamé et Ékoué avaient déjà, avec Les Derniers Parisiens, fourni d’une part, l’une des bonnes surprises de 2017, chronique des rues de Pigalle entre zincs, petites frappes et joueurs de bonneteau ; mais aussi la preuve indéniable de leurs qualités de cinéastes, appliqués à tout regarder dans une forme de démocratie égalitaire du regard qui attrape des embryons de personnage à tous les coins de rue. Appliqués aussi à une recherche paradoxale consistant à la fois à reconstituer un Paris des faubourgs, de la gouaille, des bistrots ouverts tard, mythologie poussiéreuse renvoyant à Melville, à Becker, à Duvivier ; et tout à la fois à actualiser cette mythologie, à filmer son faux, sa caducité, dans la grisaille et l’anonymat contemporain.
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Un regard juste
Qualités qu’on retrouve dans ce second opus, qui a mis du temps à sortir, et gravite autour de Mia (Garance Marillier), ancienne toxicomane joignant péniblement les bouts et apprenant en début de film sa grossesse. Rue des Dames, sensible dès son titre à la question de l’adresse, reste à peu près domicilié à la même (le Nord parisien, les trottoirs du XVIIIe et du XVIIe, rythmés par les kebabs et les ongleries, comme celle où Mia travaille le jour), avec des échappées dans l’hypercentre bling-bling (les boîtes des Champs où, la nuit venue, elle rameute ses jolies clientes moyennant commission).
La grande qualité du film, outre un principe de justesse et d’intensité auquel il prend garde à ne jamais déroger, est surtout de pousser autour de ce cœur de façon très libre et désordonnée, à tel point qu’on finit par prendre Mia moins comme un personnage principal que comme un véhicule narratif, une locomotive pour son récit choral, où Hamé et Ékoué, sans tout à fait se départir d’un certain répertoire de personnages et de situations liés au polar, l’enrichissent de beaucoup pas de côté – des situations conjugales ou familiales particulières, étrangères à tout archétype préconçu, singulièrement vraies.
On pense, bien sûr, à Mean Streets, référence éminente. Mais aussi aux Safdie, dont beaucoup de motifs se retrouvent ici : les formes méconnues de survie et de travail dans les entrailles de la ville ; le soin apporté à la topographie, à l’écosystème (l’interdépendance symbiotique entre cités et beaux quartiers) ; et bien sûr les personnage d’éclopé·es, de marginaux·les, magistralement regardés. Une réussite.
Rue des dames d’Hamé Bourokba et Ékoué Labitey. En salles depuis le 13 décembre 2023.
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