Arnaud Desplechin réalise un somptueux polar social dans sa ville d’enfance. Passionnant.
Roubaix, une lumière. Pourquoi ce titre ? Si ses films précédents (Trois souvenirs de ma jeunesse, Les Fantômes d’Ismaël) nous avaient éclairé de quelques somptueuses apparitions (le désir et l’amour dans Trois souvenirs, une revenante sur une plage ensoleillée dans Les Fantômes), le nouveau long-métrage d’Arnaud Desplechin semble opérer un mouvement inverse, retirer la lumière offerte pour ne garder que le noir.
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Roubaix, ville en ruine
Nous voici en terre (très) connue : Roubaix, lieu de naissance du cinéaste mais aussi territoire d’imaginaire et de cinéma. La ville aux briques rouges visitée tant de fois aux côtés de Paul Dédalus et sa bande, n’a plus la même allure. Elle n’est plus signe d’ennui et de rêve (pour Paris), de réunion de famille échauffée (Un conte de Noël, La vie des morts) mais de ruine et de misère. Le rouge vif des murs a fané, l’air est suffocant, criminel. Noël Daoud (Roschdy Zem) commissaire de police émérite, la connaît par cœur et semble l’aimer malgré sa rudesse. Il est le gardien du temple. Louis (Antoine Reinartz) est ce jeune lieutenant engagé, débarquant dans la ville avec les yeux neufs de l’étranger, les mots et la conviction de l’homme d’église (nous suivrons, un temps, sa correspondance avec un prêtre), pensant trouver dans la noirceur un peu de réconfort – ou peut-être de rédemption ?
Entre drame social stylisé et film d’enquête
C’est à un jeu de piste que nous invite dans un premier temps ce Roubaix, faussement lumineux, dispersant sur son passage quelques motifs Desplechiens difficile à attraper et à reconnaître dans ce décor (in)connu. Dans ses précédents films, cette appétence pour le polar, le film d’enquête pointait déjà – on se souvient des aventures, façon « Tintin et les espions », d’Ivan Dedalus (Louis Garrel) dans Les Fantômes. On avait donc imaginé une incursion dans le genre plus fantastique et ludique. Alors Desplechin aurait-il rangé au placard son romanesque pour se faire le portraitiste d’une réalité économique et sociale contemporaine ? Oui et non à la fois. Son nouveau film ne prétend pas vraiment à la vérité documentaire qu’il annonce et ce malgré son carton d’introduction soulignant la véracité des événements racontés à l’écran. Aidé des codes du polar, il en est une esquisse, sombre, âpre, doucement brutale, servie par une mise en scène stylisée, où les ombres galopent sur les murs des maisons délabrées, dans les locaux du commissariat, lieu de répétition et de parole inépuisable.
Et la lumière fut
Alors où est-elle cette lumière ? Cherchons encore, elle pourrait surgir : au-dessus de la tête de ce sacro-saint de flic, dans une impressionnante séquence de reconstitution faisant de ces criminelles présumées, Claude (Léa Seydoux) et Marie (Sara Forestier), prises au « jeu » (dans son sens le plus limpide), les actrices enfin regardées de leur propre vie… dans leur regard translucide ou sur leur peau diaphane, à moins qu’elle n’apparaisse dans un centre équestre, à la lueur d’une fin d’après-midi, paradis après la tempête. On pourrait reprocher à Desplechin la dévotion quasi christique accordée à son personnage de grand flic paternel et bienveillant (Roschdy Zem), son éternel goût pour les rapports de force entre hommes et femmes, son regard ambivalent sur l’époque, sa morale nihiliste (l’est-elle vraiment ?), sa toute-puissance de cinéaste accordant, dans un dernier souffle, la grâce divine à ses personnages… Or, si la loi du plus fort triomphe, il ne s’agit pourtant pas d’une belle victoire, mais simplement d’un rétablissement, triste, tragique.
Roubaix, une lumière, tout est dans le titre. La lumière n’éblouit pas, comme un violent coup de projecteur, mais elle creuse dans les âmes humaines, ni trop bonnes, ni trop mauvaises, menacées par un déterminisme social implacable, une fatalité que même le plus grand romanesque ne peut amender.
Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin avec Léa Seydoux, Sara Forestier Roschdy Zem (France, 2019, 1h59)
Sélection officielle, en compétition
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