Tourné à l’arrache dans un Alger fantomatique et angoissant, un premier film d’une grande force.
Récompensé par le Grand prix de la fiction au dernier Festival de Belfort (connu pour son goût des films situés à la frontière du documentaire et de la fiction) et présenté en 2006 dans la section “Orizzonti” de la Mostra de Venise, Rome plutôt que vous doit être salué pour sa capacité à rendre compte d’une réalité tout en la présentant comme un sentiment.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le film raconte la quête et l’errance de deux jeunes gens, Kamel et sa copine Zina, dans l’Alger sous danger terroriste des années 1990 (du moins le suppose-t-on). Kamel cherche un marin, “le bosco”, qui doit lui fournir des faux papiers pour retourner en Europe. Il emmènerait bien avec lui Zina, qui travaille dans une clinique. Tous deux se perdent un peu dans un nouveau quartier d’Alger appelé La Madrague (comme la légendaire villa de Brigitte Bardot à Saint-Tropez), nom qui porte toute la prétention d’un société qui voudrait se faire passer pour ce qu’elle n’est pas.
Teguia n’a pas besoin d’explications ni de fiction à outrance pour décrire sa ville et la société algérienne. Il lui suffit de les montrer, de les filmer telles qu’elles sont, avec un soin évident du cadrage. Cette croyance et confiance en l’une des spécificités les plus évidentes du cinéma – l’enregistrement – est l’une des caractéristique du film. Teguia prend le parti contraire de la carte postale touristique, montrant un Alger sombre, désert, silencieux et triste – geste politique aussi fort que discret. Grâce à l’image (de longs travellings qui peignent les rues, qui suivent les lignes électriques, les réverbères de la ville), grâce aussi aux sons (des atmosphères sourdes, presque “neigeuses”, qui montrent à la fois l’étouffement et la sensation souvent illusoire de la sécurité), Tariq Teguia nous entraîne dans un monde fermé, une société angoissée, qui a constamment peur de ce qui pourrait advenir (même quand la joie règne) dans la seconde qui suit : le pire.
Jouant des contrastes et des changements de rythme avec une maîtrise assez stupéfiante, Teguia montre la tristesse et la joie, le passage soudain de l’espoir au désespoir, du calme à la violence (comme la scène d’arrestation de Kamel et Zina dans le café, impressionnante, qui suit une scène d’hébétude et peut-être de bonheur partagé sur une plage déserte), et l’impossibilité d’y vivre heureux, quiet, dans un cercle vicieux qui serait la forme du film.
La mise en scène de Teguia, qui connaît ses classiques, ressemble à un Rossellini qui aurait vu Godard (ces panneaux- tracts qui surgissent parfois) et étudié la composition photographique (Tariq Teguia est photographe et passionné par les travaux de Robert Frank, par exemple). Bien que le film soit tourné avec des moyens très limités, l’image large (1.85) et le travail sur le son, très subtils, donnent profondeur et forme à un récit et à un film que le mot “couvre-feu” (celui imposé aux Algérois la nuit) pourrait à lui seul résumer : à la fois couvercle et coup de feu.
{"type":"Banniere-Basse"}