Welles et Wise à La Rochelle. On s’est cette fois interessé au second, moins connu et célébré, solide cinéaste et modeste serviteur des studios.
En programmant côte à côte Welles et Wise, le « génie indiscutable » et le « solide artisan à la solde des studios », « l’auteur prodige de Citizen Kane » et « le monteur qui a massacré La Splendeur des Ambersons« , les responsables du Festival de La Rochelle n’ont manqué ni d’humour ni d’un brin de perversité. Plutôt que Welles, que l’on connaît par c’ur et dont on a déjà présenté les inédits (cf. Inrocks n° 204), on a choisi de s’intéresser au plus méconnu, Robert Wise. Il n’est évidemment pas question de faire de l’auteurisme délirant et de porter Wise au même niveau que Welles, mais simplement de rendre justice à un excellent serviteur du système des studios trop souvent réduit à sa réputation de cinéaste anonyme et d’exécuteur d’un crime de lèse-Welles.
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A revoir une dizaine de ses films en quatre jours, il est difficile de dégager un thème ou un style indubitablement wisiens. Tout au plus peut-on distinguer dans sa filmographie un humanisme démocrate au sens le plus large et consensuel des deux termes, une vision d’honnête citoyen américain combattant le racisme (Le Coup de l’escalier, 1959), la cupidité exacerbée (La Maison sur la colline, 1951), les collusions de pouvoir entre les forts aux dépens des faibles (Ciel rouge, 1948), se rangeant du côté de l’honnêteté
(Nous avons gagné ce soir, 1949), des histoires exemplaires de self-made men (Marqué par la haine, 1956) ou d’un pacifisme un peu simpliste (Le Jour où la terre s’arrêta, 1951). uvrant dans tous les genres, Wise se caractérise surtout par son professionnalisme solide, sa façon de se mettre au service d’une histoire et de ses acteurs, avec souvent un brin de lourdeur didactique, une façon de trop préciser les choses (par tel dialogue explicatif ou tel plan redondant) pour être sûr que tout le monde a bien compris. Wise a fait des westerns comme Ford, des films noirs comme Lang, des suspens conjugaux comme Hitchcock, mais toujours un ton en dessous des maîtres, ne possédant ni leur élégance ni leur inventivité. Et pourtant, le savoir-faire technique un peu neutre de Wise n’empêche ni ses films d’être très plaisants à suivre (on s’ennuie rarement), ni certains coups d’éclat. Ainsi, dans La Maison sur la colline, sorte de mélange de Soupçons et de Rebecca au suspens remarquablement mené, l’héroïne est une ancienne déportée : le film peut donc aussi se lire et c’est plutôt rare dans le cinéma hollywoodien comme une étude sur la difficulté de vivre après les camps, sur le trauma postnazi. Le moment où, soupçonneuse, l’héroïne tâte et flaire avec son gant une flaque d’huile de vidange dans un garage obscur constitue une scène très forte et très troublante. L’obscurité est d’ailleurs un des points forts de Wise, cinéaste qui a parfaitement retenu les leçons de l’expressionnisme et de Val Lewton, producteur qui l’a fait débuter : la sculpture des ténèbres est ainsi remarquable dans Ciel rouge, western filmé au noir, dans La Maison sur la colline, thriller expressionniste, ou dans le superbe Coup de l’escalier. Wise filmait aussi très bien la ville, les paysages urbains ou ruraux, le rapport entre les corps et les lieux : paysages désertiques de Ciel rouge, rues de New York dans Marqué par la haine ou Le Coup de l’escalier, profondeur de champ sur San Francisco dans La Maison sur la colline… Le film le plus libre de Wise, celui qui semble le mieux échapper aux règles des studio, est sans doute Le Coup de l’escalier, histoire d’un casse qui foire parce que le trio de malfrats comporte un Noir et un raciste. Par son sujet et sa structure ternaire, sa façon d’accorder la pulsation du film à celle d’une BO jazzy, son goût pour la digression et son talent pour filmer le vide et l’attente, son souci du quotidien des gangsters et son inspiration plastique, Le Coup de l’escalier est un film noir moderne, qui ne souffre nullement de la comparaison avec ses contemporains (la Nouvelle Vague, Cassavetes).
C’est entendu, Wise ne possède ni l’élégance minérale de Ford ni la force jupitérienne de Welles, mais cet honnête salarié des grands studios a signé un paquet de bons films, divers et variés. C’est justement ce genre de films, solides et bien fichus, et ce genre de cinéaste, modeste et prolifique, qui manquent dans le paysage actuel. Welles et Wise, génie et savoir-faire, marge et page… les uns ne vont pas sans les autres.
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