De Roberto Succo, de quoi se souvenait-on ? De sa chute, essentiellement, en deux temps deux images. La première, flottante et en vidéo, retransmise au journal télévisé, un soir de 1988. La seconde, trois ans plus tard, sur le plateau du Théâtre de la Ville dans la scène finale de la dernière pièce écrite par […]
De Roberto Succo, de quoi se souvenait-on ? De sa chute, essentiellement, en deux temps deux images. La première, flottante et en vidéo, retransmise au journal télévisé, un soir de 1988. La seconde, trois ans plus tard, sur le plateau du Théâtre de la Ville dans la scène finale de la dernière pièce écrite par Bernard-Marie Koltès. Cette chute, on la retrouve dans Roberto Succo, le plus beau film, un cran au-dessus de l’inaugural Bar des rails, qu’ait signé Cédric Kahn à ce jour.
Contrairement à la parabole dessinée par Koltès sur le suicide et l’imminence de sa propre mort, Kahn n’a pas souhaité faire de Succo un personnage mythique mais plutôt un cas clinique, un sujet d’étude, en basant son récit sur l’ouvrage de Pascale Froment Je te tue, description factuelle et enquête sur le parcours du meurtrier.
Pour incarner Roberto, Cédric Kahn a fait appel à un comédien non-professionnel, d’origine italienne, dont la maîtrise de la langue française fait défaut. Belle idée, car dès lors il n’est plus qu’une enveloppe à la fois évanescente et prismatique, qui s’incarne dans la divergence des regards que les multiples témoins de ses actes portent sur lui. D’autre part, Kahn ne se contente pas de dérouler l’odyssée meurtrière de Succo selon un fil chronologique. Il s’intéresse plutôt à la pathologie de son sujet, et cherche à en saisir toutes les tendances insurmontables. Il s’expose de fait à la lassitude que pourrait engendrer la régulière répétition des formes et des scènes (découvertes de corps/agressions/recherche d’indices/interrogatoires). Pourtant, l’omniprésence de la tension s’établit justement dans l’accumulation et l’ordre sériel des figures, et se voit renforcé par un parti pris éminemment judicieux : hors les scènes où il doit se défendre, sont privilégiés les agressions où les victimes échappent à la tentation homicide de Succo. Evidemment, cette récurrence aurait pu prendre le pli d’un gimmick si elle avait été ostensiblement signalée. Or ce n’est que rétrospectivement que cette alternative au hors-champ nous apparaît.
Plus prégnant que dans une conclusion attendue, le malaise s’amplifie in fine dans la vie sauve, dans l’instinct de mort contrarié. Outre que cela permet aux témoins épargnés d’esquisser les diverses facettes de Succo et à l’enquête d’avancer, cette mort en suspens entérine le caractère viral (tous ne trépassent immédiatement, mais tous ceux qui l’ont croisé sont contaminés) de Succo, incube insaisissable et invisible alors même qu’il ne cesse de s’exposer. Mais une fois cerné, cloisonné, sans proie à assaillir pour le maintenir en vie, il ne peut que s’éteindre.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}