La fin de “Twilight”, son désir d’indépendance, ses velléités de réalisation et ses envies de cinéma français : Robert Pattinson dresse un premier bilan de sa carrière.
Mai 2012 : Robert Pattinson monte pour la première fois les marches du Festival de Cannes, où il vient accompagner la présentation en compétition officielle de Cosmopolis de David Cronenberg. Une étape décisive dans le parcours de la star, qui se dirigeait ici vers un cinéma d’auteur prestigieux et soldait son image d’icône adolescente, marquée du sceau de la franchise mal aimée Twilight.
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Trois ans plus tard, la reconversion de l’acteur semble presque achevée : l’hystérie médiatique qui l’entourait s’est enfin atténuée, il est passé du rang de poster boy à celui de coqueluche hipster, tandis qu’il poursuivait une filmographie radicale et ultra-aiguisée.
Chez David Cronenberg (Maps to the Stars), dans le polar australien (The Rover de David Michôd), ou même dans un Werner Herzog mineur (Queen of the Desert), il a définitivement quitté les rives des productions mainstream et s’est affirmé en acteur XXL, nouvelle incarnation du cinéma d’auteur à la puissance de feu sans égale dans sa génération.
Au moment où sort son dernier film, Life d’Anton Corbijn, une charmante quoique anecdotique relecture de l’amitié entre le photographe Dennis Stock et James Dean, Robert Pattinson nous a accordé un entretien pour faire le bilan de sa carrière et évoquer son futur.
S’y dessine le portrait d’un acteur toujours en mutation, à la fois très sûr de ses choix et rongé par le doute, un électron libre qui entend bien se projeter partout où le cinéma palpite encore, de la France, aux côtés de Claire Denis, au New York vibrionnant des frères Safdie. Un type du futur.
Comment vous êtes-vous retrouvé sur le projet Life ?
Robert Pattinson – En lisant le scénario, j’avais le sentiment que le film ne serait pas un biopic ordinaire, une simple life story où l’on raconterait par le menu la vie de James Dean et Dennis Stock. Il y avait quelque chose de plus singulier, plus intimiste dans l’angle du film.
Le fait qu’Anton Corbijn soit attaché au projet a fini de me convaincre. Je l’avais rencontré à Los Angeles il y a quelques années et on est tout de suite devenus complices. Je crois franchement que c’est l’un des cinéastes les plus talentueux du moment.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans son cinéma ?
Son style. Il y a un truc chez lui de très pictural et gracieux qui vient de son travail photographique. Passer d’une discipline à l’autre n’est pas évident ; tu vois beaucoup de photographes qui se crashent au moment de réaliser leur premier film. Mais pas Anton.
Lui, dès son premier film, il prouve qu’il est un grand metteur en scène. J’ai vu Control en salle à l’époque et ça m’a mis une claque terrible. J’étais vraiment impressionné, au point de devenir un fan de Joy Division. Un fan du genre obsessionnel…
Dans Life, vous incarnez le photographe Dennis Stock. Que saviez-vous de sa vie, de sa carrière ?
Pas grand-chose, mais j’ai immédiatement eu un bon feeling pour le personnage, un truc qui a résonné en moi dès la première lecture du scénario. J’ai rencontré son fils, et puis je me suis documenté sur sa carrière, j’ai eu accès à des archives intimes ou photographiques jamais publiées. Ce que je découvrais me passionnait.
Dennis Stock n’était pas un gars très commode en vrai. C’était un type secret, opaque, toujours sur la défensive, qui refusait de manifester ses sentiments et qui pouvait être très dur. (Il reste pensif quelques secondes, puis reprend.) C’est assez excitant pour un acteur d’incarner ce type de personnage ambigu, ni immédiatement sympathique, ni très lisible.
Vous interprétez Dennis Stock au tout début de sa carrière, lorsqu’il n’est encore qu’un jeune artiste tâtonnant, qui cherche “son style, sa propre voie”. C’est un état auquel vous avez pu vous identifier ?
Bien sûr. Dennis a vraiment confiance en ses capacités : il sait qu’il peut devenir célèbre pour son art, qu’un artiste sommeille en lui. Mais en même temps il se dénigre en permanence, il doute. Ce qu’il lui faut, c’est une validation de son travail, et il va la chercher chez James Dean.
Dès leur rencontre, Dennis est obsédé par l’acteur, non pas en tant que fan, mais parce qu’il a besoin de son approbation. Il veut qu’on lui dise qu’il peut être un photographe, qu’il a le droit d’exercer son art. Je peux comprendre ce sentiment. J’ai moi-même souvent besoin d’entendre que je ne me trompe pas, que je suis légitime. Les plus infimes retours sur mon travail m’étonnent encore aujourd’hui, et m’autorisent à persévérer.
Vous n’avez pas le sentiment que votre rôle dans Cosmopolis a été cette “validation” ?
Ça a été un tournant décisif dans ma carrière, évidemment. Même là, quand j’en reparle, ça me colle des frissons. J’ai fait pas mal de belles choses depuis, mais je n’ai jamais retrouvé les sensations que j’ai eues avec Cosmopolis. C’est le scénario le plus dingue, le plus puissant que j’ai eu entre les mains.
Ce n’était pas un simple job, tu saisis, mais une putain de renaissance : un nouveau regard jeté sur moi. Le film m’a libéré de certains complexes, et il a contribué à changer mon image auprès de l’industrie. D’autres grands cinéastes m’ont appelé, des mecs avec qui je n’aurais jamais pensé travailler un jour.
J’imagine que vous faites notamment référence à Werner Herzog, qui vous a offert un rôle dans son dernier film, Queen of the Desert (inédit en France – ndlr). Quels souvenirs gardez-vous du tournage ?
D’abord, le souvenir d’une audition étrange, bizarre, une longue conversation durant laquelle Werner m’a parlé de tout sauf de mon rôle : de ses récits d’aventures, de ses déboires avec les serpents, les iguanes… Je ne suis resté que huit jours sur le tournage, mais ça a confirmé mes impressions sur ce mec passionné, et complètement marginal, hors du cadre.
Ce que j’aime, chez Werner Herzog ou David Cronenberg, c’est qu’ils ont des natures de warrior : ils abordent toujours le nouveau film comme si c’était le plus grand et le plus fort de l’histoire du cinéma. (Il se marre) Ils ne veulent mener que des projets excitants, ou controversés. Chez eux, rien n’est banalisé. L’acte de faire un film reste toujours une aventure. Ça redonne foi dans le cinéma de bosser avec ces artistes.
Et puis il y a James Gray, avec qui vous allez prochainement tourner le film The Lost City of Z…
C’est un film d’époque, qui racontera un moment de la vie d’un explorateur parti à la recherche d’une cité perdue en Amazonie. Le film traite d’une obsession qui vire à la folie. James est très fort pour ça. Two Lovers, que je considère comme l’un des plus beaux films ever, était déjà le récit d’une obsession qui tourne mal. J’ai hâte de jouer pour lui, de voir où il peut m’emmener.
Vous avez été adoubé par une série d’auteurs prestigieux depuis Cosmopolis, mais quelque chose coince auprès du grand public : votre image reste encore très marquée par vos débuts dans le cinéma young adult. Récemment, David Cronenberg confiait d’ailleurs à la presse que vous étiez toujours “sous-estimé à cause de la nullité et de la débilité de Twilight”. Que pensez-vous de ces déclarations?
(Un peu lassé) Ça appartient à David, je ne peux pas en juger. Peut-être qu’il faudra encore un peu de temps pour que certains oublient l’époque Twilight. En attendant, je dois persévérer sans me poser de questions, et continuer à choisir mes films avec cohérence, en faisant confiance à mes goûts.
Justement, que disent vos choix ? Pensez-vous qu’ils dessinent les premiers contours d’une œuvre ?
Je commence tout juste à me faire à cette idée. Ça va faire plus de dix ans que je suis dans ce business et je crois que les choses se précisent. Je sais désormais que ma sensibilité me dirige davantage vers des auteurs convaincus, affirmés, des cinéastes qui innovent, qui ont un point de vue tranché. Mais je suis trop jeune pour parler d’une œuvre. Je n’ai pas encore tout à fait trouvé ma place dans cette industrie.
Il se murmure que vous souhaiteriez aussi devenir réalisateur…
Ah bon, on raconte ça ? (Il se marre et marque une pause.) Oui, c’est un projet qui me trotte dans la tête depuis quelque temps. Ces dernières années, j’ai pu trouver des rôles et collaborer avec des cinéastes qui m’ont donné une nouvelle inspiration, un nouvel élan.
L’idée de réaliser mes films fait son chemin. Devenir cinéaste, c’est la dernière étape vers une indépendance totale : tu es le seul maître à bord, tu prends ton destin en main, tu peux enfin exprimer tout ce que tu veux, sans entrave. J’en suis loin, mais j’y travaille. En ce moment, je passe tout mon temps libre à écrire.
Qu’est-ce que vous écrivez ?
J’ai toujours préféré écrire des trucs qui paraissaient très loin de mon univers, de mes rôles.
Du genre ?
Des gros films de science-fiction ! Des scénarios très populaires, avec énormément d’effets spéciaux, des aliens à toutes les pages, des budgets énormes. J’écris aussi une pièce de théâtre en ce moment mais, pour une raison assez inexplicable, et alors que je n’en suis pas vraiment fan comme spectateur, ce sont les “big popcorn movies” qui m’attirent.
Vous pourriez revenir un jour dans ce système des grosses franchises hollywoodiennes ? Refaire un blockbuster façon Twilight ?
Pff… J’ai failli, l’année dernière. On m’avait proposé un gros projet sur lequel j’avais plutôt avancé, mais je me suis rétracté au dernier moment. J’ai eu peur, et je crois que ça ne me correspondait plus.
Aujourd’hui, je préfère tourner trois, quatre films par an, même des petits rôles pour des auteurs qui m’inspirent, plutôt que de rester immobilisé par un tournage de shitty blockbuster pendant des mois.
Vous avez eu pas mal de projets avortés ces dernières années, dont le plus spectaculaire est sans doute Idol’s Eye, que devait réaliser Olivier Assayas. Que s’est-il passé avec ce film ?
Une sale histoire. Le tournage a été annulé à cause d’un problème de financement, qui nous a tenus en haleine jusqu’au dernier moment. J’ai fait deux allers et retours entre Los Angeles et Toronto, où devait être réalisé le film, et à chaque fois on me disait que le tournage était suspendu. C’était pénible, mais j’étais hyper excité par le projet : je me documentais, je passais du temps à Chicago (le film, situé dans les années 70, racontait l’histoire d’un conflit au sein de la mafia chicagoane – ndlr), afin de rencontrer les vrais gangsters à l’origine du braquage qui avaient inspiré le scénario. Et tout ça pour rien…
Comment aviez-vous rencontré Olivier Assayas ?
Je ne sais plus trop, par l’intermédiaire d’un ami producteur… J’adore son cinéma, notamment Carlos. C’est le plus pénible dans cette histoire de film abandonné : je sentais qu’Idol’s Eye pouvait être un film important, une date spéciale dans ma carrière. Le scénario était génial : près de 190 pages qui dépassaient les codes des ganster movies, avec des dialogues inhabituels, et une densité romanesque inouïe. Mais, qui sait, peut-être que le film se fera un jour.
Il y a d’autres cinéastes français avec qui vous aimeriez travailler ?
Là, à partir de janvier, je devrais commencer le tournage d’un nouveau film avec une auteur française, Claire Denis. Je l’avais rencontrée il y a quelque temps à Los Angeles, et elle m’avait parlé de ce projet de film de science-fiction, pensé avec le plasticien Olafur Eliasson qui réalise des installations lumineuses sublimes… Je n’en reviens toujours pas d’avoir eu ce rôle.
Vous étiez familier de l’œuvre de Claire Denis ?
J’en suis absolument fan. Ça fait quelques années que son travail m’obsède, même si j’aurais beaucoup de mal à expliquer précisément pourquoi. Je crois que c’est une question de regard, quelque chose qui va bien au-delà des mots. Il y a un truc de l’ordre de l’hypnose dans son cinéma. J’ai vu White Material en salle à l’époque, et j’en étais ressorti en transe, complètement désorienté. C’est un putain de génie.
Revenons-en au cinéma américain. Quel regard portez-vous sur son évolution récente ? Avez-vous le sentiment qu’une nouvelle génération d’auteurs émerge ?
J’en suis persuadé. Aux Etats-Unis, comme partout dans le monde, les films à moyen budget sont devenus impossibles à financer. C’est un bouleversement majeur dans l’industrie, qui est maintenant partagée entre les “big tentpole movies” et les microbudgets. On peut le regretter, mais j’y vois plutôt une renaissance.
L’apparition de ces films fauchés et indépendants a permis l’éclosion d’une nouvelle vague d’auteurs américains, qui se sont libérés des impératifs des gros studios. En se tournant vers les microbudgets, ils sont complètement autonomes : ils peuvent faire ce qu’ils veulent, expérimenter de nouveaux trucs et s’affranchir de ce circuit de producteurs, agents, financiers, qui grèvent la création…
… à l’image des frères Safdie, avec qui vous allez bientôt tourner un film, Good Time (une histoire de braquage qui tourne mal, coécrite par la figure clé du cinéma indé new-yorkais, Ronald Bronstein – ndlr).
Oui, typiquement, eux ont fait leur carrière dans un cinéma low-cost, complètement indépendant, où ils ont pu laisser libre cours à leur imaginaire et leurs fantasmes. C’est encore un autre projet qui m’excite : le scénario est vraiment barré, mystérieux, en balance permanente entre la fiction et la réalité.
Le cinéma indé américain s’organise beaucoup en petits clans : il y a eu la famille du mumblecore, celle des nouveaux cinéastes new-yorkais (les frères Safdie, Ronald Bronstein…), celle de Wes Anderson et Noah Baumbach, etc. Avez-vous le sentiment d’appartenir à un clan en particulier ?
(Il hésite.) Non, j’ai essayé mais je n’y arrive pas. Je n’ai jamais réussi. Peut-être parce que je vis entre plusieurs villes, Londres, Los Angeles, ou que je ne reste jamais longtemps au même endroit. Ou peut-être, simplement, parce que ce n’est pas dans ma nature. Je crois que je suis plutôt un solitaire.
Romain Blondeau
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