Si Robert Forster est si bon dans Jackie Brown, c’est peut-être parce qu’il ressemble beaucoup à son personnage : ce comédien résigné aux rôles de l’ombre est un homme à qui on ne la fait plus, sur le point de saisir une seconde chance inespérée.
Le bonheur de Robert Forster fait plaisir à voir, sa joie rayonnante est contagieuse. On rencontre un homme qui ne réalise pas encore tout à fait ce qui lui arrive, un acteur de seconde zone sur le déclin qui vient tout juste de claquer le gros lot à la loterie de la vie et pour qui Tarantino fait quasiment figure de messie. Comme Forster le note lui-même avec humour, « ma carrière se résumait à un premier acte de cinq ans, puis un second de vingt-cinq ans ! Et ces derniers vingt-cinq ans étaient une glissade permanente vers le bas ! »
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Pourtant, cette carrière avait démarré sous les meilleurs auspices en 1966 avec Reflets dans un œil d’or : « John Huston m’avait donné un grand coup d’ascenseur et mis sur les bons rails. Mais ensuite, ça a dégringolé. Et là, Quentin me propulse à nouveau, au-delà des nuages. » En effet, après ces débuts prometteurs, la suite va mal s’enclencher et de séries B en séries C (Les Risque-tout en 77, Delta Force en 85), de rôles médiocres en jobs à oublier, le plus grand titre de gloire de Forster sera le feuilleton Bannion. Pas étonnant que le regard du comédien s’allume quand il commence à raconter sa relation à Tarantino. Tout avait commencé par une offre sur True romance, à l’époque où la célébrité de Tarantino ne dépassait pas le comptoir de son magasin vidéo. L’affaire ne s’est pas faite, True romance étant racheté par Oliver Stone et Tony Scott. Ensuite, Forster fut battu par Lawrence Tierney pour être le vieux chef de gang de Reservoir dogs. Mais Tarantino tenait à travailler avec lui un jour. « Il m’avait promis un rôle dans le futur, sans faute. Cinq ans plus tard, je le rencontre par hasard au coffee-shop où je prends mon petit déjeuner tous les matins. Il était en train de travailler sur Punch créole, le roman d’Elmore Leonard, et me propose de le lire. Trois mois plus tard, je le rencontre dans le même coffee-shop, il était assis à ma place habituelle et me dit « Hey, lis ça, et dis-moi ce que tu en penses. » J’étais bluffé par son script. J’aimais beaucoup le personnage de Max Cherry. En lisant, je n’arrêtais pas de chercher un petit rôle secondaire qui me correspondait et je me disais « Non, il ne va quand même pas m’offrir Max Cherry ? » Oh, nom de Dieu, quand j’ai revu Quentin quelques jours plus tard, j’avais décroché le gros lot ! J’étais abasourdi. Ce mec était quand même le plus gros poisson à Hollywood, et l’un des plus intéressants. Il m’a offert là un cadeau d’une telle dimension que je ne pourrai jamais lui rendre la monnaie. Ce rôle va changer ma vie, ma carrière. »
Si Robert Forster n’en revient toujours pas du geste de passion cinéphile de Tarantino, il est tout aussi bluffé par l’aisance créative, la rigueur professionnelle et la chaleur humaine du bonhomme. « Avec Reservoir dogs et Pulp fiction, Tarantino a poussé son style dans une certaine direction. Et avec Jackie Brown, il va dans une direction opposée, en ralentissant sa vitesse, en utilisant des techniques de mise en scène à l’ancienne… Ce type sait ce qu’il fait, il est sûr de lui, il travaille vite, il n’a peur de rien. Il garde les choses fraîches, il invente tous les jours quelque chose, il écrit des dialogues additionnels le matin qu’il nous fait essayer l’après-midi… Quel cinéaste ! Personne ne le rattrapera. Je n’avais jamais vu de metteur en scène aussi confiant que lui sur un plateau. John Huston aussi était un sérieux client, mais il n’était pas aussi relax que Quentin. Et à la fin de la semaine, Huston ne sortait pas avec son équipe pour boire des coups et se marrer. Une semaine, nous tournions la nuit ; arrive le week-end, personne ne voulait retourner à un rythme diurne : Quentin a invité tout le monde chez lui et nous a passé des films d’horreur toute la nuit. » Evidemment, Forster est parfaitement conscient des similitudes entre lui et son personnage et considère que jouer Max Cherry fut aisé parce qu’il lui suffisait d’être lui-même. Ce qui l’amène à une conception de l’acteur qui ne déplairait pas à André Bazin : « Je n’ai éprouvé aucune difficulté pour ce rôle, il suffisait que j’apporte mon scepticisme tempéré, celui de quelqu’un qui a vécu suffisamment longtemps pour ne plus se faire trop d’illusions sur la vie et les gens. La caméra vous voit, elle sait qui vous êtes, alors le mieux est d’être soi-même. On ne peut pas tricher avec ça, on ne peut pas faire semblant d’être ce qu’on n’est pas. »
Le plus beau dans toute cette affaire est l’élégance intacte de Robert Forster : cet homme ne porte en lui aucune aigreur, aucun regret. Et quand il examine sa vie et sa carrière, c’est avec beaucoup de recul et de sagacité : « Mieux vaut tard que jamais. Mais ce rôle n’est pas venu trop tard, il est venu au bon moment, quand j’avais tous les atouts pour le jouer. Je n’ai aucun regret, j’ai eu le meilleur de la vie. De toute façon, le vrai travail d’une vie, ce n’est pas une carrière d’acteur, c’est élever ses enfants. » On souhaite à Robert Forster de trouver d’autres rôles à la mesure de sa force tranquille et de son impact buriné mais, quoi qu’il arrive désormais, il est Max Cherry dans Jackie Brown et on ne pourra plus lui enlever ça.
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