Petite fugue adultère dans la vie placide et paysanne de deux époux de longue date. Une irrésistible comédie de remariage.
La Ritournelle devait initialement s’appeler “Folies Bergères”. C’eût été un beau titre, mais le nouveau n’est pas mal non plus. Est-ce parce qu’il a entre-temps écouté en boucle la chanson de Sébastien Tellier, ou parce qu’il a lu Gilles Deleuze et Félix Guattari (dont la ritournelle est un des plus célèbres concepts), que Marc Fitoussi a décidé d’intituler son film ainsi ?
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On ne le sait, et il est d’ailleurs probable que l’explication soit tout autre, mais Tellier comme Deleuze et Guattari résonnent avec ce film : il a le caractère entêtant, dramatique et exaltant de la chanson du premier ; il déploie une philosophie du désir et de la liberté, du territoire et des lignes de fuite, de l’ordre rassurant et du désordre enivrant, comme les seconds. Toutes choses certes assez évidentes pour une comédie de remariage, mais que Fitoussi maîtrise avec une élégance et une précision inouïes.
Sa bergère tentée par les folies, c’est Isabelle Huppert, dont on ne devrait jamais oublier qu’elle est, aussi, une grande actrice comique (notamment dans Copacabana, un précédent film de Fitoussi). Il y a quelque chose dans son jeu de l’ordre de l’évaporation, une façon unique de faire bouillonner (à feu doux) les répliques, pour n’en laisser qu’une écume, une trace à peine visible au fond du plan (ou au fond des yeux), qui prouve, à qui sait regarder, qu’un trouble violent s’est joué là avant de finalement rejoindre l’éther.
Dans le film, elle interprète une paysanne – oui, une paysanne et c’est parfaitement crédible – mariée à un éleveur de bovins joué par Jean-Pierre Darroussin, non moins excellent. Si l’on a plus de facilité à l’imaginer en agriculteur, lui l’acteur fétiche de Guédiguian, bienveillance incarnée devenu au fil du temps le parfait papa poule du cinéma du milieu, il n’en compose pas moins son rôle avec originalité, loin des clichés associés à ce métier.
Fitoussi montre ainsi un monde paysan moderne – c’est la première réussite, disons sociologique, du film – avec wifi à la maison et Austin Mini Break dans le garage (sans doute la seule voiture au monde capable de plaire autant à Guy Roux qu’à Louise Bourgoin). Huppert et Darroussin forment un couple dont on ne doute pas qu’il s’est follement aimé, mais qui, en toute logique, a laissé la poussière se déposer sur leur désir, jusqu’à ce qu’il en soit presque entièrement recouvert. Prémisse naturelle pour une comédie de remariage. Un jour, elle décide de filer à l’anglaise, à Paris, laisser le hasard épousseter son quotidien… Sous la forme d’un beau dentiste danois, par exemple.
Dès la première séquence, qui voit l’éleveur et sa femme brosser le pelage d’un Charolais pour un concours, et tout au long du film, Fitoussi accumule les signes d’opposition – elle veut mettre un diadème sur la tête de la vache, lui s’en agace ; elle lui fait des beignets au tofu à déjeuner, lui préférerait de la barbaque, etc. – avec un volontarisme qui pourrait passer pour un manque de subtilité. C’est qu’à la subtilité, ce mal de la comédie du milieu, justement, qui veut que rien ne soit tranché et tout également réparti, Fitoussi préfère la générosité.
Générosité vis-à-vis des personnages secondaires pour commencer – l’ouvrier agricole, la voisine, la belle-sœur, l’amant, le fils, tous existent par-delà leur fonction scénaristique, ce à quoi on reconnaît presque toujours les bonnes comédies –, générosité de trait ensuite.
Fitoussi a une façon de styliser le réel (aidé ici par Agnès Godard, ou, dans son précédent film Pauline détective, par Céline Bozon, deux des meilleures chef op françaises) qui évoque la comédie américaine classique (Leo McCarey, toute proportion gardée) ou certains francs-tireurs français (Pierre Salvadori, Axelle Ropert, les frères Larrieu du Voyage aux Pyrénées). Soyeuse, son image enrobe sans étouffer, au diapason d’un film qui invite à jouer quelques fausses notes dans la petite musique répétitive rythmant nos vies. Imparable.
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