Une mère de famille prolo et un cadre supérieur au chômage se rencontrent à Intermarché : le désoeuvrement engendre une liaison fragile. Poétique, drôle et impitoyable. Le scénario tient en une petite poignée de mots : un homme et une femme au chômage se lient d’amitié et deviennent amants, par hasard. Rien à faire est […]
Une mère de famille prolo et un cadre supérieur au chômage se rencontrent à Intermarché : le désoeuvrement engendre une liaison fragile. Poétique, drôle et impitoyable.
Le scénario tient en une petite poignée de mots : un homme et une femme au chômage se lient d’amitié et deviennent amants, par hasard. Rien à faire est un film de déviation, un film sur le fil du rasoir, qui se déroule sur plusieurs mois, à un moment où la vie des personnages est suspendue. Marie-Do, sans emploi depuis quatorze mois, est une mère de famille fidèle qui vit dans une cité. Au premier abord, elle a l’air plutôt nunuche, avec son serre-tête, ses horoscopes, son obsession des régimes amaigrissants, ses sourires gênés, ses jeux à la radio et ses phrases toutes faites. Femme fragile, émotive et émouvante, elle est pleine d’abandons réprimés. Pierre est un cadre quadra, le genre stressé, second mariage avec femme et intérieur branchés, un « suractif » humilié par son nouveau statut de chômeur. Il vit dans la partie résidentielle de la banlieue.
Deux mondes, deux langages, deux façons de faire ses courses. D’un côté, on mange du pâté de foie sous vide et des omelettes aux merguez, de l’autre, on est plutôt du genre riz basmati et sushis. Leur rencontre n’a pas lieu d’être. Et pourtant, c’est dans la zone industrielle où trône l’énorme Intermarché, entre la cafèt’ et le Buffalo Grill, que Pierre et Marie-Do vont commencer à se croiser, à se frôler. Listes à la main, dans les allées où défilent les promos du jour, l’entrée dans l’intimité de l’autre va doucement se faire. D’un après-midi à l’autre, ils vont combler ce temps mort ensemble, en tentant d’abord de le mettre à profit, puis en se donnant du plaisir, chassant cette culpabilité de celui qui ne fait rien car plus que quiconque, le chômeur doit justifier son temps auprès de son entourage. Il va s’agir d’être à nouveau dans la vie.
De la laideur de cet environnement urbain, de cette trivialité quotidienne, Marion Vernoux parvient à faire surgir une poésie qui baigne l’ensemble, telle une fleur sur un lit de fumier. Elle joue sur les décalages entre les codes verbaux de ses deux personnages. Elle renverse les situations humiliantes. Pierre rejoint Marie-Do durant ses heures de ménage et lui fait l’amour, leurs entraînements oraux pour les entretiens deviennent dialogues amoureux. Chacun prend peu à peu la place du conjoint absent dans les actes de tous les jours, derrière le caddie, dans la voiture, devant un verre. Partant de ce monde invisible pour l’autre versant, les actifs, de ce rétrécissement d’existence momentané, la réalisatrice élargit ce sombre intervalle et l’éclaire, en y faisant circuler des courants de sensations et d’échanges permanents.
Le film génère au fur et à mesure son propre espace à l’intérieur de cette parenthèse, un espace de côté. Et pour filmer ces personnes « hors poste » comme on les nomme dans les stages de remotivation, Marion Vernoux n’a de cesse de les tenir serrés dans son cadre avec empathie. Sa caméra apaisante les maintient dans la lumière, guette les rapprochements de leurs corps, balaie leurs visages de gauche à droite, les gifle en douceur pour ranimer la flamme, vogue de l’un à l’autre, et ramène Pierre vers les yeux bleus, las et éperdus de Marie-Do.
La beauté du film réside dans ce télescopage constant entre la réalité oppressante de leur existence en balance et la membrane protectrice créée par leur union qui parvient à les arracher au réel. Mais le caractère provisoire de cette situation hante Marie-Do. Pierre ne perd jamais de vue son but : retrouver un emploi, réintégrer la place sociale qui est la sienne et qui l’attend. Du côté de Marie-Do, tout est beaucoup plus confus, elle n’a jamais eu de position sociale, personne ne l’attend, et la réalité lui semble de plus en plus lointaine. Avide de sensations, elle se laisse glisser dans cette bulle close avec ravissement et effroi, prête à s’abandonner à n’importe quelle main caressante, et à dériver à l’infini dans cet entre-deux.
Porté par Les Mots bleus de Christophe et la superbe musique originale d’Alexandre Desplats, incarné admirablement par Valeria Bruni-Tedeschi et Patrick Dell’Isola, Rien à faire est un film de vacance(s) impitoyable.
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