Une chronique de réalisme social bascule brutalement en conte angélique totalement atypique.
Pendant la vision de Ricky, il arrive fugacement que l’on se demande si le cinéma de François Ozon n’aurait pas pris un virage radical. Une actrice filmée sans maquillage, un HLM, l’usine, le chômage… Le petit Sirk de poche, le fabricant ironique de films-concepts colorés, le copieur-colleur postmoderne de références multiples aurait-il muté vers un cinéma social brut de brut ? A vrai dire, non. Pour Ozon, l’ancrage banlieue n’est qu’une carte parmi d’autres, qu’il utilise pour poursuivre son obsession habituelle : l’observation sous tous les angles des névroses familiales. Katie élève seule sa petite fille Lisa. Rongée par la lassitude de sa condition, elle est une mère minimale et se montre avare de signes d’affection. Katie rencontre Paco, ce qui perturbe l’équilibre déjà précaire de Lisa. Puis la venue au monde de Ricky, petit frère issu de ce second lit, achève de bouleverser cette famille recomposée. Ricky pleure beaucoup. Il fait des caprices. Puis apparaissent de grosses contusions dans son dos. Paco serait-il un père monstrueux ? A moins que Lisa soit une grande sœur trop jalouse ? A ce stade, on se contentera de dire que Ricky décolle à la fois brutalement et légèrement de son registre réaliste et sombre. Le père est éjecté du foyer, tandis que Katie devient une maman majuscule, le bébé permettant aussi de resserrer les liens mère-fille légèrement distendus.
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Si le mélange des genres n’est pas toujours fluide, si la crédibilité des situations s’avère fluctuante, on ne peut que saluer l’imagination et le culot d’Ozon qui… ose des choses inhabituelles dans le cinéma français. Il se montre ici particulièrement habile à révéler tous les non-dits, malaises ou blessures affectives (mais aussi les élans) pouvant mijoter au sein d’une cellule familiale, pétant parfois à la gueule des uns ou des autres. Il traite ses personnages avec complexité, chacun peinant à trouver sa place et faisant souffrir l’autre, mais chacun ayant ses raisons. Il est capable de montrer en un seul plan l’angoisse de l’abandon que tout enfant a pu ressentir au moins une fois. Sans juger personne, il montre qu’il n’y a pas de mode d’emploi pour être un bon parent, que l’on étreint souvent trop ou pas assez, et que le métier d’enfant est parfois difficile.
Même avec des sujets sombres, Ozon demeure un roi de la ligne claire et, comme la plupart de ses films, Ricky est d’une limpidité de lecture agréable. Cette qualité de confection est la force de son cinéma mais aussi sa limite. François Ozon est brillant, mais on ne sent pas toujours ce qu’il ressent, on ne saisit pas toujours en quoi ses films le traversent.
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