Culte dès Donnie Darko, son premier film, K.-O.après le flop du second, Richard Kelly distille son imaginaire tourmenté dans The Box, opulent thriller lynchien avec Cameron Diaz.
Richard Kelly est un cinéaste de son temps, et pourtant il ne l’a jamais filmé : Donnie Darko, son premier film, sorti quelques semaines après le 11 septembre 2001, imaginait ainsi la fin du monde en 1988, à travers les yeux d’un adolescent perturbé ; Southland Tales, tourné en 2006, se déroulait en 2008, mais figurait en fait un monde parallèle, un monde où les Etats- Unis, victimes d’une attaque nucléaire, auraient déclenché une Troisième Guerre mondiale ; The Box, quant à lui, prend place en 1976 (peu ou prou l’année de naissance de son auteur) et raconte le désarroi d’un couple embarqué dans une machination aux dimensions apocalyptiques…
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Quelle que soit l’époque qu’il filme, le cinéaste de 34 ans ne semble ainsi pas capable d’imaginer le monde autrement qu’au bord du précipice. La catastrophe est toujours présente, attendant au coin de la rue – cette rue banale de banlieue pavillonnaire américaine où il ne cesse de situer ses récits –, sous la forme d’un réacteur d’avion, d’un champignon atomique ou d’une simple boîte en bois, avec un bouton rouge sur le dessus.
A rencontrer ce jeune homme extrêmement amène, au visage très doux, presque poupin, on a du mal à croire que son imagination puisse malaxer d’aussi noirs desseins. “J’ai lu énormément de SF dans ma jeunesse, et la plupart des auteurs des années 50 et 60, comme Richard Matheson, Kurt Vonnegut ou Philip K. Dick, ont une vision très noire, désenchantée de l’humanité. Or pour les gens de ma génération, tout cela sonne comme une évidence : nous n’avons pas connu autre chose que l’enfer qu’ils décrivent.”
C’est bien en cela que Richard Kelly est un cinéaste de son temps : ayant grandi dans les années 80 et 90, entré dans la vie active en 2000 et des poussières (celles, à peine retombées, du World Trade Center), la crise n’est pas pour lui un état paroxystique mais la normalité. La fin du monde est une conséquence logique, presque un soulagement (“un gémissement”, dirait T.S. Eliot), si l’on en croit les derniers plans de Southland Tales, son grand oeuvre hué à Cannes en 2006 par un public abruti, démuni face à la beauté chaotique et prométhéenne du film. S
i Richard Kelly a connu une catastrophe, une vraie, c’est finalement celle-ci, cette carbonisation cannoise qui le laissa abasourdi, K.-O. debout sur la Croisette. Trois ans plus tard, il en garde encore des séquelles : plein de fébrilité dans la voix, il hésite longuement avant de répondre aux questions, se montre effrayé à l’idée qu’on puisse charcuter ses projets (“si je faisais une série télé, ça me briserait le coeur qu’elle soit annulée au bout de quatre épisodes”), et ne se risque jamais à couper la main qui le nourrit désormais.
Rentré dans les rangs de la Warner pour son dernier film, après la chaotique production indépendante de Donnie Darko, et celle, semi-indépendante et non moins infernale, de Southland Tales (375000 dollars de recettes à travers le monde, direct-to-DVD en France), il s’espère sorti d’affaire : “Je ne veux plus quitter le système des studios, d’autant plus que les indépendants sont aujourd’hui moribonds. C’est trop frustrant de passer des années sur un film pour voir qu’au final il ne sort que dans une poignée de salles. Maintenant, j’ai envie de m’attaquer à des budgets plus importants, je suis prêt.”
Pour cela, il faudrait que The Box, qui n’est pas encore sorti aux Etats-Unis, soit un succès au box-office, mais le kid de Virginia se dit “serein”. On reconnaît bien là une des qualités majeures du cinéaste, celle qui permet à ses films-baudruche, chargés jusqu’à la gueule de matière fictionnelle incandescente, de ne jamais exploser en vol. Comme J.J. Abrams et Christopher Nolan, mais contrairement à M. Night Shyamalan (pour prendre trois cinéastes américains importants apparus dans les années 2000 auquel on peut le comparer), Richard Kelly est un cinéaste de la dépense, un prestidigitateur nourri aux effets numériques (“toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie”, selon Arthur C. Clarke, cité dans The Box), un flambeur pour qui l’enflure narrative est la seule réponse possible à la surenchère des série télé qui ringardisent son art depuis dix ans. D’où l’impression, parfois, que ces trois-là accumulent en deux heures autant d’enjeux, de personnages et de sous-intrigues qu’en huit saisons de X-Files.
Toutefois, une telle boulimie ne peut fonctionner qu’à condition que leur auteur garde la tête froide : ce que le scénario, parfois trop gourmant, dilapide d’un côté, la mise en scène, précise et ample, incroyablement suave, le récupère de l’autre, créant de pures visions apocalyptiques avec trois fois rien, un hangar vide et quelques ventilateurs par exemple. “J’ai essayé tout au long du film d’utiliser la technologie numérique pour arriver à un effet analogique”, affirme-t-il avec fierté et des yeux soudains brillants.
Car aussi noires et caustiques que soient ses intrigues, Richard Kelly semble immunisé contre le cynisme. Adepte de Sartre depuis, dit-il, “sa découverte éblouie, au lycée, de Huis clos”, il ne se départ jamais d’une certaine candeur, une croyance envers et contre tout en l’humanité, à qui il laisse toujours la possibilité d’emprunter une autre voie que celle qui la mène à sa perte (“le choix vous appartient”, répète le méphistophélique Mr Steward dans The Box). C’est sans doute pour cela qu’il ne filme jamais le présent.
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