La bombe à neurones trimestrielle vient à nouveau titiller la pensée universelle et plus particulièrement celle du cinéma. Le n° 18 de Trafic s’ouvre sous l’égide philosophique d’une phrase de Gilles Deleuze : “Il n’est pas facile de savoir ce qui nous appartient, et pour combien de temps.” La structure du numéro semble vouloir répondre […]
La bombe à neurones trimestrielle vient à nouveau titiller la pensée universelle et plus particulièrement celle du cinéma. Le n° 18 de Trafic s’ouvre sous l’égide philosophique d’une phrase de Gilles Deleuze : « Il n’est pas facile de savoir ce qui nous appartient, et pour combien de temps. » La structure du numéro semble vouloir répondre à cette question. Entre le texte de Jean-Claude Biette, qui s’essaie à définir ce qu’est un cinéaste, et Jean Rouch qui transmet ici une partie de sa mémoire, il y a une articulation qui se crée autour de Jean-Luc Godard et de son texte (qui est en fait le discours prononcé lorsqu’il a reçu le prix Adorno) : « A propos d’histoire et de cinéma ». Le cinéaste suisse explique que le cinéma était un territoire sans histoire. Entendez par là qu’il était bien question d’un monde en mouvement, parallèle au nôtre, mais qu’on accordait plus à nos désirs qu’à une réalité historique, ou tout du moins qu’on n’a pas voulu croire porteur d’une vérité historique : les camps. Plutôt que de savoir ce qui nous appartient, JLG cherche à comprendre ce qu’on a perdu, tente d’en marquer les délimitations. S’ensuit un essai de Jacques Rancière qui, tout en analysant La Chinoise, nous donne une petite leçon sur l’importance de la couleur dans l’ordre du monde ou comment est-on passé du rouge au vert (la question politiquement préoccupante de nos jours est de savoir si tout le monde n’est pas devenu daltonien). Le texte de Rancière se situe au même niveau que celui de Biette, de Godard, avec cette même idée d’une pensée en mouvement qu’il faudrait parfois arrêter pour poser quelques jalons et réfléchir aux actes produits par ce mouvement. La bonne surprise (même si ce n’est pas son premier beau texte) vient de la prose d’Erik Bullot sur Charlot. Une ligne poétique ce qui n’enlève pas l’aspect analytique de l’étude vouée au devenir chaplinesque métamorphose la densité des deux premiers tiers de la revue : Bullot arrive à créer une osmose entre les pas de Chaplin et les pieds de ses phrases. Le numéro s’achève sur un texte de Rouch, « Le Renard fou et le maître pâle », où l’on se rend compte que si l’on ne sait pas pour combien de temps les choses nous appartiennent, il n’en reste pas moins que nous pouvons les transmettre à la mémoire et à l’imaginaire des autres. Trafic, contre les embouteillages de la mémoire.
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