Un beau documentaire sur les cauchemars de l’employé moderne et la force onirique comme puissance critique.
“Qu’en est-il de la nuit intérieure, frémissante, en ces temps Feminade marchandisation forcenée Feminadu domaine sensible, où tout est présenté sur le tapis roulant d’une indifférenciation généralisée, de sorte à rendre les images du rêve pareilles Feminaà n’importe quelles autres (…) ?” s’interrogeait Annie Le Brun – indispensable auteure ès ravages du capitalisme – dans son essai Ailleurs et autrement (2011). Le documentaire de Sophie Bruneau propose une réponse à cette question.
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La réalisatrice et anthropologue a rencontré des employés de multiples entreprises dont les nuits sont polluées par les angoisses liées au travail du jour. Ces récits de rêves, récurrents ou pas, souvent auto-interprétés, sont soit filmés face caméra, soit racontés par une voix off sur laquelle se superposent un précipité d’images et de sons du monde du travail et de sa possible évasion : open space aseptisé, coin de ciel bleu, bureaux en chantier et étendue d’eau bercée par le mouvement des vagues.
Là, une caissière hantée par le bip-bip frénétique et de plus en plus rapide de l’encaissement ; ailleurs, une secrétaire qui cauchemarde que la fenêtre de son bureau a été murée ; ici, une chargée des ressources humaines qui rêve que, alors qu’elle est assise à son poste de travail, son crâne s’ouvre sur de petites personnes armées d’immenses cuillères en train de manger son cerveau… Partout un malaise diffus, un réel réduit à la peur du déclassement et à la pression hiérarchique ressentie jusque dans la chair des salariés. La force de ce bout à bout cauchemardesque est d’être le reflet à la fois d’une réalité salariée “fin de règne”, comme le dit un employé, et de l’extraordinaire pouvoir de dénonciation de l’imaginaire onirique de chacun.
Rêver sous le capitalisme de Sophie Bruneau (Fra., Bel., 2017, 63 min)
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