Le site internet de BBC Culture a publié un classement des 100 meilleurs films de ce début de XXIe siècle, an 2000 compris, en récoltant les votes de 177 critiques de cinéma venus du monde entier. Voici quelques éléments d’analyse de ce classement, entre classiques instantanés et outsiders remarqués, surprises et regrets.
Si l’aura d’un film et sa place au rang des chefs d’œuvres s’acquièrent souvent avec un certain recul historique et donc artistique, cette sélection « à chaud » prend le pouls d’un cinéma mondial chamboulé par l’arrivée du numérique et les profondes mutations des modes de production et de diffusion qu’elle a engendrés. Le classement perd ainsi en objectivité et en universalité ce qu’il gagne en spontanéité en originalité, et se démarque ainsi du classement des meilleurs films de tous les temps de Sight and sound, qui présente depuis des années le même trio de tête Vertigo / Citizen Kane / Le Parrain). Les débats vigoureux qu’il engendre nous prouvent en tout cas que la flamme du cinéma, cent vingt ans après sa création, est toujours des plus vivaces.
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Un podium déjà culte
Comme dans de nombreux autres classements, c’est l’incontournable Mulholland Drive de David Lynch (2001) qui trône en haut de la liste. A la fois quintessence et synthèse du style de son réalisateur, ce puzzle mental labyrinthique et sensuel fait figure de rêve – cauchemar matriciel qui irrigue tout le cinéma postérieur de ses images et émotions novatrices.
In the Mood for Love (2000), la folle histoire d’amours impossibles à l’esthétique fascinante et hypnotique de Wong Kar-wai, et There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson (2007), méditation sèche et contemplative sur la noirceur de l’âme humaine, se placent respectivement en deuxième et troisième position. S’ensuivent le foisonnant Voyage de Chihiro (2001) du maître de l’animation japonaise Hayao Miyazaki, et l’inattendu Boyhood de Richard Linklater (2014), délicat récit d’apprentissage tourné avec les mêmes comédiens sur douze ans.
Une cartographie du cinéma à forte dominance anglo-saxonne
Le cinéma américain, et plus largement en langue anglaise, porté par un système de distribution mondial extrêmement développé, marque clairement sa domination et son hégémonie culturelle. Si les cinéastes français sont globalement bien représentés, leur première entrée au classement se fait à la sixième position via un film en langue anglaise, Eternal sunshine of a Spotless Mind de Michel Gondry (2004). On trouve ainsi Leos Carax avec l’exigeant Holy Motors (2012, 16e position) ou La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche (2013, 45e), quand Claire Denis et Olivier Assayas ferment le classement avec White Material (2009, 97e) et Carlos (2010, 100e). Les vétérans Jean-Luc Godard (Adieu au langage, 2014, 49e) et Agnès Varda (Les Glaneurs et la Glaneuse, 2000, 99e) se frayent un chemin dans la liste, mais aucune trace de leurs contemporains de la Nouvelle Vague Eric Rohmer ou Jacques Rivette. Arnaud Desplechin et Bertrand Bonello, pourtant acclamés par la presse française, peinent encore à acquérir une véritable reconnaissance internationale.
Le cinéma asiatique ne s’en sort pas mal avec le Wong Kar-Wai et le Miyazaki dans le top 5, le récent The Assassin d’Hou Hsiao-hsien (2015, 50e), mais aussi trois films d’Apichatpong Weerasethakul malgré une oeuvre réputée exigeante et encore trop confidentielle : Oncle Boonmee (2010, 37e), Tropical Malady (2004, 52e) et Syndromes and a Century (2006, 60e). Concernant les autres cinématographies mondiales, on retrouve notamment Michael Haneke (Le Ruban blanc, 18e, Caché, 23e, et Amour (2012, 42e) ou Laszlo Nemes (Le Fils de Saul, 2015, 34e) pour l’Europe, Asghar Farhadi pour le Moyen-Orient avec Une séparation (2011, 9e), Les Fils de l’homme d’Alfonso Cuaron (2006, 13e) et Le Labyrinthe de Pan de Guillermo Del Toro (2006, 17e) pour l’Amérique centrale, et Timbuktu d’Abderrahmane Sissako (2014, 36e) et Moolade d’Ousmane Sembène (2004, 58e) pour l’Afrique.
Des artistes surreprésentés et d’autres oubliés, des surprises et des fautes de goût
Paul Thomas Anderson, Wes Anderson, Mickael Haneke, Christopher Nolan, Apichatpong Weerasethakul et les frères Coen inscrivent chacun trois films dans la liste, quand des cinéastes aussi importants que Steven Spielberg, Quentin Tarantino ou Martin Scorsese n’en placent qu’un seul. Plus inquiétant, le classement passe totalement à côté de Gus Van Sant, l’un des artistes les plus importants de ces trente dernières années (où sont les ultra-novateurs Gerry, Last Days ou Elephant ?)
Chacun pourra s’étonner, à la lecture de ce classement, d’y voir figurer des films décevants voire détestés. A la rédaction, on s’étonne ainsi du crédit accordé au larmoyant Le Scaphandre et le Papillon de Julian Schnabel (2007, 77e), au complaisant 12 Years a Slave de Steve McQueen (2013, 44e) ou au pompeux et éreintant La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino (2013, 64e). Ce goût amer est quelque peu relevé par de belles surprises (Holy Motors, WALL-E et de nombreux Pixar, le magnifique A History of Violence de David Cronenberg (2005, 59e) ou le corrosif et jouissif Spring Breakers d’Harmony Korine (2012, 74)
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