Après sa projection au festival de l’American Film Institute, retour sur l’accueil critique du dernier film du réalisateur américain.
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Projeté mercredi 20 novembre en avant-première mondiale dans le cadre du festival de l’American Film Institute à Los Angeles, Le Cas Richard Jewell a reçu un accueil critique plutôt positif.
Le nouveau film de Clint Eastwood, inspiré de faits réels, raconte l’histoire de Richard Jewell, un vigil accueilli en héros après avoir averti de la présence d’une bombe sur le parc olympique d’Atlanta lors des Jeux Olympiques de 1996, avant d’être suspecté trois jours après par le FBI d’avoir lui-même perpétré l’attentat. La nouvelle fait vite les gros titres de la presse suite à la publication précipitée d’un article de la journaliste Kathy Scruggs pour l’Atlanta Journal-Constitution.
Eastwood prend le parti de faire le portrait d’un héros américain, dans la lignée de ses précédents films (American Sniper, Sully, Le 15h17 pour Paris), consacrés à « des hommes ordinaires que leurs actes extraordinaires livrent après coup à l’examen du public, pour le meilleur et pour le pire » écrit Todd McCarthy du Hollywood Reporter. Eastwood montre le parcours infernal d’un innocent en prise avec la toute-puissance du FBI et de la presse, ce quatrième pouvoir après le Gouvernement, le Parlement et la Cour de justice, capable de faire et défaire la réputation des citoyens.
La presse américaine a plutôt apprécié le portrait de ce « triste personnage » incompris. Paul Walter Hauser, jusqu’ici cantonné à des petits rôles (Moi, Tonya, BlacKkKlansman : J’ai infiltré le Ku Klux Klan), porte le film et brille dans sa partition du citoyen américain effacé, figure de la normalité. « L’acteur confère à son personnage une sincérité qui hérisse le poil et même si la performance de Hauser donne une dimension tragicomique au film, la réalisation solennelle d’Eastwood ne moque jamais la situation malencontreuse de son personnage, qui est sous le feu des projecteurs » écrit Ryan Lattanzio d’IndieWire.
Une bonne histoire
Quarantième film de Clint Eastwood, aujourd’hui âgé de 89 ans, Le Cas Richard Jewell est une adaptation d’un article de la journaliste Marie Brenner, publié dans Vanity Fair en 1997 et intitulé « American Nightmare : The Ballad of Richard Jewell » (« Cauchemar américain : La ballade de Richard Jewell »).
« Une bonne histoire est une bonne histoire et Clint Eastwood sait raconter une bonne histoire » affirme Peter Debruge de Variety. Le critique écrit que « le résultat est indéniablement convaincant » et qu »il offre « une réflexion populiste sur le mépris du public pour les journalistes comme pour le gouvernement, racontée du point de vue d’un réalisateur (et n’oublions pas : ancien maire de Carmel, Californie) qui prend le pouls de l’opinion. »
« Avec ce drame discret, Eastwood ne gagnera pas de nouveaux fans, mais son héritage n’en sera pas affaibli non plus. L’approche modérée du film à l’égard d’un scandale médiatique tragique semble opportune et désuète à la fois – une étude de caractère venue d’une autre époque pour commenter la nôtre » juge pour sa part Lattanzio.
Tous les critiques ont souligné le caractère fictionnel du film, qui se fonde certes sur une histoire vraie, comme le rappelle son message promotionnel indiquant que « le monde connaîtra [le nom de Richard Jewell] et la vérité ». Mais le réalisateur et son scénariste Billy Ray ont pris quelques libertés qui ont incité les critiques à avertir les spectateurs qu’il était avant tout question d’une fiction, et qu’il ne fallait pas prendre à la lettre tous les éléments du récit.
La presse et le FBI, des institutions corrompues
Le film « se range clairement du côté du protagoniste et de ses défenseurs, tandis que la presse et le FBI sont pointés du doigt comme les méchants à qui l’on ne peut pas accorder notre confiance » estime Lattanzio.
Paul Walter Hauser a publié sur son compte Twitter un message pour indiquer qu’il s’agissait « d’une histoire vraie, fondée sur un personnage qui incarne l’humanité et la dure réalité, plus que d’une stratégie politique ou d’une tribune idéologique. »
« La plupart des films hollywoodiens sur le journalisme depuis Les Hommes du président il y a quarante-trois ans ont pris le parti de la presse, la dépeignant comme une institution parfois maladroite mais néanmoins noble et essentielle pour le bien-être de la démocratie. Eastwood et le scénariste Billy Ray (Hunger Games, Captain Phillips) choisissent ici une approche bien différente du quatrième pouvoir, représenté comme irresponsable, corrompu et immoral » explique Todd McCarthy du Hollywood Reporter. « Le film s’essouffle un peu en fin de course, mais le sens du devoir et de dignité de Jewell est puissant face à la conviction de l’agent du FBI qui jure qu’il est ‘coupable jusqu’aux dents’. Eastwood fait écho à une réflexion déjà à l’œuvre dans ses précédents films, sur le fossé qui sépare les idéaux américains et la réalité plus troublante de la vie » ajoute-t-il.
Le rapport du sujet du film à l’actualité est particulièrement fort dans la scène de l’explosion de la bombe. Celle-ci « rappelle inévitablement les images de la tuerie perpétrée au Harvest Musical Festival en 2017 à Las Vegas et d’autres tragédies similaires récentes. Si le film se situe au milieu des années 1990, Eastwood a choisi de raconter cette histoire pour une raison. C’est difficile de ne pas penser à la panique et à la perversité du cycle continu du terrorisme national d’aujourd’hui, celui qui fait les gros titres dans la presse et dans lequel les humains innocents, notamment les foules, sont des cibles mouvantes » écrit Lattanzio.
« Richard Jewell n’est pas l’œuvre d’un homme vieilli et dépassé qui agite ses frustrations vis-à-vis d’un parti politique en particulier. Le film relève plutôt de la réflexion d’un citoyen qui se demande comment on en est arrivés là. Si l’on retrace le parcours d’Eastwood en tant que cinéaste, il apparaît évident qu’il n’abhorre rien de plus que l’abus de pouvoir » abonde Debruge.
La caméra statique filme les personnages à distance et évite tout esthétisme au profit d’une réalisation sobre qui met en valeur le récit. En ce qui concerne la bande-originale, « la partition de piano feutrée du compositeur Arturo Sandoval est rarement présente jusqu’à la deuxième moitié du film, plus émotionnelle, et ne tombe jamais dans la mièvrerie » précise Lattanzio.
Un casting idéal
Les seconds rôles ont été jugés très convaincants : Kathy Bates émeut dans le rôle de la mère de Jewell, tandis que Sam Rockwell joue de raison dans le rôle de l’excentrique avocat Watson Bryant. Le patron du FBI est interprété par Jon Hamm (Don Draper dans la série Mad Men) et la journaliste Kathy Scruggs par Olivia Wilde.
« Les acteurs secondaires Wilde, Hamm, Bates et Rockwell jouent à la lisière de la caricature, et pourtant, sous l’égide d’Eastwood, ils ne versent pas dans la parodie » assure Debruge.
Le portrait d’un héros
Une plaque commémorative en hommage à Richard Jewell, décédé en 2007 de problèmes de santé, sera bientôt installée au Centennial Olympic Park d’Atlanta. « J’aimerais qu’une rue porte son nom. Il mérite même plus que cela » a déclaré Clint Eastwood. Avec son film, le réalisateur a fait mieux : « il a érigé un monument à l’héroïsme de Jewell et réalisé le portrait de ses conséquences destructrices, un arc qu’Eastwood nomme ‘la grande tragédie américaine’ « écrit Glenn Whipp du Los Angeles Times. Le réalisateur rend ainsi justice à sa manière à un héros malmené par les médias et le FBI.
Le film pourrait avoir du succès dans les salles américaines, peut-être plus au Sud des Etats-Unis suggèrent les commentateurs, mais devrait rester bien en-deçà des scores d’American Sniper (plus de trois millions d’entrées en France et 547,4 millions de dollars de recettes dans le monde) ou Sully (plus d’un million d’entrées en France et 239,5 millions de dollars), qui étaient respectivement interprétés par Bradley Cooper et Tom Hanks
La représentation de Kathy Scruggs critiquée pour son sexisme
Le film a cependant été critiqué pour la représentation qu’il fait de la journaliste Kathy Scruggs. Une scène suggère qu’elle aurait offert son corps à l’agent du FBI en charge de l’affaire en échange d’informations pour son article. Kevin Riley, le rédacteur en chef actuel de l’Atlanta Journal-Constitution pour lequel Scruggs travaillait, a déclaré qu’aucune preuve ne démontrait que la journaliste avait obtenu la matière pour son article de cette manière. « Pourquoi un narrateur déciderait-il d’ajouter un détail qui est non seulement insultant mais aussi non nécessaire à l’intrigue ? » s’interroge Riley. Mais Kathy Scruggs, disparue en 2001, n’est plus là pour contester le portrait que le film fait d’elle.
Mia Galuppo du Hollywood Reporter souligne que « la représentation problématique de l’attitude de Scruggs se rattache à la tendance hollywoodienne à véhiculer l’image de femmes journalistes couchant avec leurs sources ou les personnes qu’elles interviewent, comme on a pu le voir récemment dans les séries House of Cards ou Sharp Objects. » La question des violences sexuelles dans le milieu du journalisme est toutefois au cœur de Scandal, qui suit le parcours de trois journalistes de la chaîne Fox News tombées sous la coupe de leur patron Roger Ailes. Interprété par Nicole Kidman, Charlize Theron et Margot Robbie, ce film sera à l’affiche le 22 janvier 2020.
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Jugeant le choix d’Eastwood injustifié, Riley ajoute : « A une époque où le journalisme lui-même fait l’objet de nombreuses attaques, c’est inacceptable qu’un film fasse un tel écueil et renforce un faux stéréotype. C’est particulièrement alarmant de voir cela à Hollywood. S’il y a bien un endroit où il faudrait faire preuve de prudence et de sensibilité à l’égard de la façon dont sont traitées les femmes dans la profession, c’est Hollywood. »
Le Cas Richard Jewell sera dans les salles françaises le 19 février 2020.
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