Tout Mankiewicz au Festival de la Rochelle, ce sera du 29 juin au 9 juillet, à l’occasion d’une rétrospective qui reprend l’oeuvre intégrale du réalisateur de La Comtesse aux pieds nus, cinéaste du verbe, aux constructions narratives virtuoses.
Joseph L. Mankiewicz est le cinéaste de la parole. ?Et le verbe se fait Mankiewicz, qui fonde entièrement sa mise en scène sur le dynamisme et la parole? écrit Jean Douchet. La Rochelle programme donc une intégrale Mankiewicz, cinéaste qui vécut toutes les étapes d’un destin hollywoodien et toucha à tous les genres sans que la cohérence de son uvre n’ait à en souffrir. Si les films de Mankiewicz sont effectivement bavards, ils ne sont jamais verbeux, et il reste un grand poète du récit, qui organise de savantes constructions narratives où ses personnages recherchent une vérité introuvable. Les voix off et les flashes-back abondent, et ce sont ces figures de style qui créent la fiction, dans une brillance incontestable, mais au risque d’une certaine artificialité, d’une hauteur de vue parfois asphyxiante.
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Si une nouvelle vision de Eve s’avère un peu décevante, des films moins fréquentés continuent d’attester de l’immense talent de Mankiewicz, voire de son génie. Ainsi de L’Affaire Cicéron (52), sans doute le meilleur film d’espionnage jamais tourné, qui part d’un fait de guerre authentique pour devenir une très belle méditation sur le hiatus fatal entre l’efficacité d’un savoir-faire et la faillite d’un imaginaire. Grand thème de Mankiewicz, cette incapacité à faire coïncider élévation sociale et réalisation d’un rêve médiocre est au c’ur de son authentique chef-d’ uvre, La Comtesse aux pieds nus (54). Est-ce parce que Mankiewicz a mis beaucoup de lui-même dans le personnage de Harry Dawes (Bogart) qu’il renoue ainsi avec le romantisme et la sensualité de L’Aventure de madame Muir (47, premier pic de l’ uvre) ? Ou est-ce parce qu’il connaissait et aimait les actrices ? Toujours est-il que la construction savante en flashes-back, la fluidité de la mise en scène et des dialogues proches de la meilleure littérature de gare participent d’une empathie nouvelle chez le cinéaste. D’une sublime virtuosité narrative, le film est implacable quand il montre la circulation de l’argent et ses métamorphoses ordurières, mais il se fait déchirant, lavé de tout cynisme, quand il décrit la puissance d’une malédiction sociale.
Meilleure adaptation ? et de loin ! ? de Tennesse Williams, Soudain l’été dernier (59) est un magnifique film de cure, un conte de fées avec ogres et sorcières qui échappe à la lourdeur en démontant pas à pas, mot à mot, la facticité d’une image-souvenir devenue trauma. Près de dix ans auparavant, Mankiewicz avait déjà abordé le thème de la possibilité d’une guérison avec On murmure dans la ville (51). Film préféré de son auteur comme de son interprète principal Cary Grant, il permet à Mankiewicz d’affirmer son regard de moraliste tout en proposant sa vision de la chasse aux sorcières’. Mankiewicz n’a jamais été plus direct et sincère que dans ce film, où les méandres du récit cèdent le pas à la chronique la plus ténue.
Trop souvent méprisé à cause de sa légende noire, Cléopatre (63) vaut par ses séquences intimes, qui tournent au documentaire sur les débuts de la tumultueuse romance Taylor/ Burton. Et Jules César (53) assume pleinement son côté Hollywood-sur-Avon’ pour devenir un péplum de chambre, finalement plus proche des Straub (Othon) que de Ben Hur. Loin d’être éthéré, même s’il est d’une rare sophistication, l’univers de Mankiewicz n’est fait que de rapports de classes. Et il ne faut pas oublier que le très rare Un Américain bien tranquille (58), adapté du roman de Graham Greene, est le premier film consacré à l’entrée de l’Amérique dans l’engrenage indochinois. Mais ici comme ailleurs, le verbe est autant un vecteur d’aveuglement qu’un facteur de dessillement.
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