De Menaces dans la nuit à Un Prisonnier de la terre, le parcours tout en ruptures de John Berry garde le même cap : l'(in)humanité Les dictionnaires de cinéma s’accordent pour présenter John Berry comme un cinéaste “inégal”. Le cinéaste inégal, voilà une catégorie floue. Est-ce un génie paresseux ? Un artisan modeste ? L’hommage […]
De Menaces dans la nuit à Un Prisonnier de la terre, le parcours tout en ruptures de John Berry garde le même cap : l'(in)humanité
Les dictionnaires de cinéma s’accordent pour présenter John Berry comme un cinéaste « inégal ». Le cinéaste inégal, voilà une catégorie floue. Est-ce un génie paresseux ? Un artisan modeste ? L’hommage que rend le cinéma Mac-Mahon à John Berry à l’occasion de ses 80 ans permet d’y réfléchir. Son cas est exemplaire. Né Jack Szold en 1917 à New York, il commence sa carrière sous le double parrainage d’Orson Welles et de Billy Wilder. Il n’a que 25 ans lorsqu’il tourne son premier film en 1944, puis enchaîne les tournages, se spécialisant assez vite dans le film noir. Avec Welles et Wilder, il a appris à éliminer toute image qui ne serait pas nécessaire au récit. Déjà pas mal. Encore faut-il savoir filmer celles qui restent. Pour Tension (1949), il invente une ouverture d’anthologie : un flic tire sur un élastique en expliquant qu’il fait pareil avec ses suspects, « jusqu’à ce qu’ils craquent. Chaque chose, chaque homme a son point de rupture. » Un résumé lumineux de toutes les detective stories de l’époque. Mieux, avec Menaces dans la nuit (1951), Berry atteint le sommet de son art : jusqu’à la dernière image de ce suspens idéal, on ne sait jamais si chacun des personnages est du côté du bien ou du mal. Cerner cette frontière floue : voilà le programme du cinéaste Berry, et il n’en changera plus. Menaces est un succès, mais il n’aura pas le temps d’en profiter. Le maccarthysme fait rage : se sachant blacklisté, John prend les devants et vient s’installer en France. Il passe des séries B hollywoodiennes avec John Garfield aux séries B françaises avec Eddie Constantine.
Si les cinéastes sont inégalement dotés en talent, encore faudrait-il qu’ils soient égaux en droit. Homme de conviction, Berry ne pouvait pas lutter avec Elia Kazan. Qu’à cela ne tienne, il ne se pose ni en victime ni en héros. Après les Ça va barder et autres Oh ! Que mambo alimentaires, il parviendra à traiter à nouveau ses thèmes de prédilection : les ségrégations raciales (Claudie, 1974), l’imaginaire du milieu ouvrier (Le Voyage à Paimpol, 1985), la délation dans un petit noir nerveux tourné à La Défense qu’il hisse par une mise en scène sans graisse au rang de tragédie sociale (Il y a maldonne, 1988). En 1990, il boucle la boucle de ses déboires américano-communistes avec Un Prisonnier de la terre, ironique coproduction USA-URSS. Le scénario hautement symbolique oblige un Américain et un Russe à cohabiter, puis à unir leurs forces pour affronter les rigueurs du pôle Nord. Si Berry ne parvient pas à porter le décor arctique au point d’abstraction géométrique des frères Coen dans Fargo, au moins sait-il capter avec la bonne dose d’ombre et de lumière un affrontement humain extrême. Inégal peut-être, mais en pleine forme.
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