L’édition intégrale de l’oeuvre d’un cinéaste brésilien méconnu, Joaquim Pedro de Andrade, est l’occasion rêvée pour découvrir un pan du cinema novo, la nouvelle vague brésilienne, et ses prolongements les plus baroques.
0n peut faire un parallèle entre bossanova et Cinema Novo, nés au même endroit, Rio de Janeiro, quasiment au même moment, au milieu des années 50. La bossa-nova est la synthèse du jazz cool américain et de la samba brésilienne. Le Cinema Novo, comme toutes les principales vagues cinématographiques d’après-guerre, s’inspire essentiellement du néoréalisme italien. Ce mouvement artistique radical met fin au règne de la “chanchada”, comédie musicale brésilienne souvent bêtifiante. Les cinéastes vont tourner dans les rues des histoires simples souvent interprétées par des non-professionnels. Le véritable précurseur de ce courant sera Nelson Pereira dos Santos en 1955 avec le film Rio, 40 graus, sur une journée dans la vie de cinq habitants des favelas. Au début des années 1960, un groupe d’étudiants cinéphiles s’engouffre dans la brèche ouverte par Dos Santo et se lance dans la réalisation. Le chef de file de ce mouvement informel, rebaptisé alors par la presse Cinema Novo, sera Glauber Rocha, le plus lyrique et politique des cinéastes sud-américains. Ses collègues et amis, dont Carlos Diegues, Leon Hirszman et Joaquim Pedro de Andrade, collaborent aux films des uns et des autres. Mais comme pour tous les mouvements, l’expression Cinema Novo reste une étiquette. Joaquim Pedro de Andrade (1932-1988), qui fait l’objet d’une rétrospective et dont l’intégrale des films (remarquablement restaurés) sort en coffret DVD, est difficilement réductible au Cinema Novo. Etudiant en physique et en philo, il devient réalisateur de fil en aiguille, en partie grâce à son prof de “mécanique analytique”, qui a créé un ciné-club. Peu à peu, De Andrade collabore à des films comme acteur ou technicien. Puis il commence à réaliser. Ses premiers courts métrages documentaires sont assez académiques. Mais le troisième, Peau de chat, rejoint les préoccupations esthético-sociales de Dos Santos ; une incursion de courte durée dans le néoréalisme à la brésilienne. Après un documentaire sur le football, le cinéaste aborde le long métrage avec Le Prêtre et la Jeune Femme (1965), au thème gentiment progressiste (un prêtre tombe amoureux d’une jeune femme), qui sera finalement son seul film “novo”. Fidèle au noir et blanc graphique de ses premiers courts, le cinéaste conjugue, selon Rocha, le rigorisme de Bresson et l’étrangeté de Buñuel. Un film moderne indéniablement, mais peu révolutionnaire. La véritable rupture se produira avec son deuxième long, Macunaíma (1969), qui, par la même occasion, marque sa sortie du mouvement novo, trop occidentalisé. Il en inaugure un autre, plus durable et plus proche des racines primitives du Brésil, et qui aura également un équivalent musical : le tropicalisme. Synchrone avec tous les soubresauts politico-moraux qui agitent le monde à l’époque, avec le flower power, le tropicalisme brésilien est une agit-prop carnavalesque jetée à la face du régime militaire en place depuis 1964. Une explosion baroque de couleur et de liberté qui renoue avec la fantaisie débridée de la chanchada, mais sur un mode bien plus cru. Macunaíma, adaptation du roman précurseur du réalisme magique de Mário de Andrade, est un conte philosophique à la fois farcesque, truffé d’ellipses abruptes et de métamorphoses naïves, qui annonce pratiquement tous les thèmes ultérieurs de l’œuvre de Pedro de Andrade : l’humour, l’érotisme et l’engagement politique. Le tout est exprimé sur un mode pop ultra-coloré et stylisé, synchrone avec le meilleur Godard ou William Klein de l’époque. Macunaíma, candide noir né adulte d’une horrible mère archaïque, se transforme en beau jeune homme blanc, qui va traverser la jungle des hommes comme dans un rêve sensuel et absurde – vivant au passage une aventure avec une pasionaria féministe qui mitraille à tout va. Sans prendre des positions précises, car il œuvre sous un régime autoritaire, Pedro de Andrade n’aura de cesse de miner l’establishment par tous les bouts, même dans ses documentaires de commande, qu’il a le don de détourner subtilement. Son troisième long métrage, Les Conspirateurs, illustration de la vie d’un héros national du Brésil, Tiradentes, martyr de l’indépendance, dénonce indirectement la violence de la dictature militaire, sans s’attirer ses foudres. Quant à Guerre conjugale (1975), qui entremêle trois histoires, le cinéaste y pousse le sensualisme dans ses retranchements pervers, en relatant sur un mode grinçant divers cas de frustration sexuelle. Une hilarante satire du machisme, qui montre ce qu’aurait pu être la comédie à l’italienne (Risi, Scola) si elle avait été plus fine et plus profonde. Le sommet érotique du cinéaste sera Sentier tropical, court métrage où il renoue avec ses débuts néoréalistes. D’une grande fluidité documentaire, le film, tourné dans les rues, met en scène un jeune prof qui raconte à une amie son obsession onaniste pour les pastèques. Tous deux vont au marché choisir des fruits et légumes avec lesquels ils décident de tenter des expériences… On regrette que le cinéaste n’ait pas poursuivi sur ce mode naturaliste avec son dernier long métrage, L’Homme au bois-brésil (1981), évocation libre mais trop apprêtée des aventures d’un groupe de poètes des années 1920.
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