Vitesse, décontraction et nonchalance trompeuse : l’auteur de « Rio Bravo » n’en a jamais fait plus qu’il n’en faut. La Cinémathèque française présente l’intégralité de son œuvre, aussi vaste que roborative.
Hawks, c’est l’être”, Eric Rohmer. “Ce qui est, est”, Jacques Rivette. “Hawks : homme moderne”, Henri Langlois. Comment enchaîner après ces fameuses formules dont l’énigmatique circularité défie le commentaire ? Les années traversées depuis la glorification du cinéaste par la Nouvelle Vague autorisent à parler depuis le point de vue d’un spectateur d’aujourd’hui, afin de mesurer combien le cinéma d’Howard Hawks est devenu une balance suprême qui remet à leur juste place les autres films : l’œuvre hawksienne donnerait la mesure de tout jugement. Et pourtant, pour le spectateur d’aujourd’hui, Hawks n’incarne pas le cinéma (plutôt Welles), ou le mythe d’une vie dévorée par le cinéma (plutôt Ray), ou encore une créativité fulgurante (plutôt Godard). Et, de même, la postérité visible d’Hawks est enfouie : autant l’influence de Lang, Hitchcock, ou Ford est lisible dans maints films, autant celle d’Hawks est plus biaisée. Hawks, cinéaste invisible donc et pourtant essentiel : c’est que la nature de son génie est proportionnelle à son retrait. Par exemple, la fameuse question de la violence au cinéma. Hawks a établi l’étalon du genre avec Scarface en 1932, une plongée fulgurante dans le milieu mafieux où le cinéaste, loin de faire corps avec l’univers décrit, applique une sécheresse de trait qui met en valeur la beauté rythmique des scènes tout en interdisant la moindre sympathie. Leçon qu’aurait pu retenir, par exemple, Scorsese qui se complaît là où Hawks tient ses distances.
Tenir ses distances, tel pourrait être d’ailleurs le programme hawksien. Si l’allure hautaine ne caractérise pas les seuls films d’Howard Hawks, elle n’est motivée chez lui ni par de pessimistes abîmes moraux (comme chez Lang), ni magnifiée par la somptuosité de la mise en scène (comme chez Preminger), et traduit juste l’exercice tranquille d’une morale minimale et aristocratique. Hawks a bien créé des personnages masculins infiniment attachants (le trio Dean Martin/ John Wayne/Walter Brennan dans Rio Bravo, en 1959), mais sans la chaleur bourrue d’un Ford ou la vitalité épique d’un Walsh. L’amitié masculine comme figure de son cinéma, certes, mais jamais auréolée de la virilité des pactes (on n’est pas chez Melville), juste scellée au nom de la mission à accomplir. “Rien de plus”, pourrait ainsi être le mot d’ordre, comme une manière de considérer les hommes depuis l’éternité, perspective haute qui dénude la portée emphatique des actions humaines pour mettre en relief le seul moment de leur accomplissement. On a beaucoup parlé du thème du professionnalisme dans les films d’Hawks, du travail à accomplir efficacement et collectivement. Sauf que, là où nombre de cinéastes venus après lui ne peuvent s’empêcher de donner une portée existentielle (la fameuse solitude des héros) à ce professionnalisme, il se réduit, ou plutôt se tient chez Hawks dans le strict ajustement des moyens et des fins.
Sobriété donc de la mise en scène, mais qui n’est jamais sévérité, bien au contraire. Le cinéaste qui tient ses distances sait déployer des récits au long cours, balades tranquilles et sereines, au ton narquois même, comme dans Le Sport favori de l’homme (1964). Ce rythme tranquille est soutenu par la décontraction suprême de bien de ses héros masculins à la nonchalance trompeuse, et peut même s’allier avec la plus grande des vitesses, Hawks ayant insufflé à certaines de ses comédies (Train de luxe en 1934, La Dame du vendredi en 1940) une sidérante frénésie. Vitesse et décontraction, alliance qui définit aussi les rapports homme/ femme du monde hawksien : joutes déchaînées (Rosalind Russell/Cary Grant dans La Dame du vendredi) et échanges allusifs (Lauren Bacall/ Humphrey Bogart) dont la conclusion n’est que partie remise. Femmes de tête donc, au sens sportif du terme (toujours en avant), et hommes souvent à la traîne, aiguillés par l’inusable insolence féminine, parfois destitués, mais dont l’indolence finit par clouer, mine de rien, le bec au genre féminin (John Wayne/ Elsa Martinelli dans Hatari! en 1962). A côté des films les plus connus du cinéaste, il faudrait revoir celui qui apparaît comme une curiosité, tant son parcours édifiant contredit apparemment l’ironie hawksienne (Sergent York, 1941), et découvrir les films d’aviation des années 30 (La Patrouille de l’aube, Après nous le déluge, Brumes) qui déploient une forme d’héroïsme très pur, encore éloigné de la maturité et du fameux mélange de tons de Seuls les anges ont des ailes.
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