Entendons-nous bien : si l’on place Hitchcock plus haut que tout, il s’agit du Hitchcock américain. Rien dans sa production d’avant-guerre qui soit à la hauteur de L’Ombre d’un doute ou de L’Inconnu du Nord-Express (ne parlons pas de Vertigo ou de Psychose). Le cinéaste anglais n’était pas encore le génie démiurgique et expérimental capable […]
Entendons-nous bien : si l’on place Hitchcock plus haut que tout, il s’agit du Hitchcock américain. Rien dans sa production d’avant-guerre qui soit à la hauteur de L’Ombre d’un doute ou de L’Inconnu du Nord-Express (ne parlons pas de Vertigo ou de Psychose). Le cinéaste anglais n’était pas encore le génie démiurgique et expérimental capable d’incarner à lui seul la totalité d’un art, mais un attachant petit-maître capable de miracles d’équilibre et de grâce (Jeune et innocent, Une Femme disparaît), d’inspirations fulgurantes (Murder, Sabotage). Lui-même le reconnaît, en artisan plutôt qu’en artiste, comparant les deux versions de L’Homme qui en savait trop : « La première est l’oeuvre d’un amateur talentueux, la seconde celle d’un professionnel. » C’est pourtant un événement que cette rétrospective de la période anglaise, fût-elle incomplète (manque, entre autres, The Mountain eagle, introuvable), qui nous montre la permanence des obsessions, la maturation d’un art, la cohérence de la vision. Avant la grande série de thrillers inaugurée par Les Trente-neuf marches, le corpus est pourtant éminemment éclectique : mélodrames (Easy virtue, The Manxman) et viennoiseries (Le Chant du Danube), adaptations théâtrales, pochades sans conséquence (Number 17), comédies sophistiquées (Champagne) ou grinçantes (A l’est de Shanghai) et drames sardoniques (Downhill). Les hantises sont déjà là : la mécanique policière et l’apparat judiciaire, les mères abusives (The Manxman) et les pères Fouettard, juges et bourreaux, filmés en gros plans terrifiants ; l’équivoque sexuelle (Downhill, Murder) et l’érotisme ravageur (Maureen O’Hara dans La Taverne de la Jamaïque) ; le transfert de culpabilité et l’oscillation entre aveu et dénégation. Mais c’est surtout un système formel et plastique qui se met en place : si Hitchcock, contrairement à un Murnau, n’a pas révolutionné le muet, il y a façonné une esthétique propre (le son n’ajoute rien à Blackmail), avec des clins d’oeil à l’expressionnisme (le clignotement du phare dans The Manxman, le soleil démasquant les fêtards dans Downhill), à Lubitsch (la demande en mariage dans Easy virtue), à Stroheim (un baiser de chevaux en contrepoint à celui du couple). Mais déjà, il y a les actrices (Anny Ondra, Nova Pilbeam, Madeleine Carroll), les plans subjectifs hallucinés (Downhill), l’espace qui engloutit les personnages, les regards-caméra qui nous happent. Rétrospective en effet : un regard en arrière pour voir d’où est venu le Maître, et des films qui nous regardent en retour.
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