En attendant sa prochaine comédie romantique avec Juliette Binoche et William Hurt, la galerie du Jeu de Paume permet de découvrir Chantal Akerman. Lorsqu’elle réalise en 1968 son premier court métrage, Saute ma ville, la Bruxelloise Chantal Akerman n’a pas 18 ans, et c’est vierge d’une culture cinématographique qu’elle se lance, sûre de son talent […]
En attendant sa prochaine comédie romantique avec Juliette Binoche et William Hurt, la galerie du Jeu de Paume permet de découvrir Chantal Akerman.
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Lorsqu’elle réalise en 1968 son premier court métrage, Saute ma ville, la Bruxelloise Chantal Akerman n’a pas 18 ans, et c’est vierge d’une culture cinématographique qu’elle se lance, sûre de son talent et de sa colère, dans une œuvre qui se caractérisera d’abord par un extrême narcissisme. C’est plus tard, avec Je, tu, il, elle (1974) et Les Rendez-vous d’Anna (1978) qu’on lui fera quitter sa solitude pour l’associer à cette Nouvelle Vague deuxième génération, marquée par la figure d’Eustache. Proche de Garrel pour la dimension autobiographique de son travail (Akerman joue souvent son propre rôle), l’importance des corps, un parti pris de l’austérité et une certaine manière de n’en faire qu’à sa tête. Mais Akerman a quand même plus d’humour. Avec J’ai faim, j’ai froid, elle livrait la meilleure participation a Paris vu par 20 ans après, en jouant avec ironie sur les propres codes de son cinéma: l’errance des personnages, l’obscénité des situations et la diction mécanique. En fait, dès le début, il s’agit surtout de ça: d’une mécanique des corps et des rapports, d’une attention scrutatrice aux gestes quotidiens, à ce qui lie un individu, isolé, à un milieu, vide. Sorte de Virginia Woolf du cinéma pour l’affirmation delà féminité comme point de vue et la mise en place d’un formalisme attentif. Chantai Akerman est à mi-chemin entre le dispositif expérimental et le souci, toujours présent, de raconter. Ses films sont le lieu d’une confrontation froide entre elle et le monde.
Froide parce que sans pathos. Son cinéma est comme un inventaire des formes (travellings, plans fixes, panoramiques) opposé à un inventaire des gestes. Ainsi D’Est (1993), vaste voyage dans un Est européen indifférencié, composé de longs plans-séquences, est au confluent d’un cinéma de l’errance (Wenders) et d’une forme de documentaire sans commentaire (Wiseman, Depardon). Mais le film est plutôt une leçon de chose : voici une route, un arbre, voici des paysannes dans un champ et des citadins qui font la queue. Lorsqu’elle filme la campagne polonaise, Akerman semble retrouver spontanément un lien avec la peinture flamande et Bruegel. Mais si l’image montre parfois une continuité, une cohérence entre un vieux monde et le présent, elle est démentie par le son, témoin du hors-champ qui instaure une rupture : en l’occurrence, pendant tout le film, le brouhaha de la circulation automobile. Du constat d’un monde désincarné émerge la question essentielle de la filiation (importance de la mère dans ses premiers films, surtout News from home), puis celle de la transmission avec la conscience grandissante de sa judéité. Soit Histoires d’Amérique) film sur les juifs new-yorkais originaires de Pologne, où des acteurs racontent – dans des costumes des années 40 mais dans une ville contemporaine – des témoignages d’immigrants, drames de la solitude ou réussites de l’intégration, tandis que d’autres jouent des histoires juives. Le film, magnifique, passe du grave au comique et une histoire se détache comme symbolisant assez bien la position d’Akerman: celle d’un homme, scientifique athée, qui a oublié ses racines, sa religion et ses parents ; un jour, passant devant une synagogue, il est attiré par les chants mais reste sur le seuil, ne pouvant ni entrer ni partir. Le témoignage, comme dit Benjamin dont l’ombre plane sur tout le film, « dune génération qui (..,) se trouvait en plein air) dans un paysage où tout avait changé) sauf les nuages, et au-dessous d’eux, dans un champ de force et de courants destructeurs, le tout petit corps fragile de l’homme. «
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