Encore un fascinant film de fantômes par Kurosawa, qui démolit les certitudes et instaure le chaos avec art.
Nouveau film de fantômes de Kiyoshi Kurosawa à peine sept mois après le précédent, Loft, Rétribution est aussi le premier volet d’une trilogie due aux maîtres actuels du genre, Kurosawa, Shimizu et Nakata. Quelque chose nous dit que, à cause du succès mondial des Ring de Nakata, Kurosawa, qui par le passé a exploré d’autres territoires, est sans cesse contraint par ses producteurs à revenir à la tradition spectrale nipponne qu’il a contribué à ressusciter.
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On ne s’en plaint d’ailleurs pas, car hormis quelques légers dérapages, et bien qu’il ne connaisse pas le même engouement que Lynch, auquel on le compare souvent, Kurosawa reste le plus novateur des cinéastes nippons. Et même si Rétribution n’a pas l’originalité du splendide Loft – qui alliait génialement spectres et momie, archéologie et littérature, générant l’effroi par quelques glissements de sens, de sons, et de cadre, et un minimum d’effets numériques –, force est de reconnaître que le cinéaste se renouvelle sans cesse.
Certes, le fond est constant. Toute l’œuvre fantastique de Kurosawa peut faire figure de variation sur le thème de la culpabilité qu’éprouvent les vivants envers les morts. Si certains sont les amis des animaux, les héros de Kurosawa sont ceux des morts. Dans Rétribution, le cinéaste aborde le fantastique par sa face policière, en confiant à nouveau à son acteur fétiche, Kôji Yakusho, un rôle d’inspecteur (comme dans Cure et Charisma). Si l’on s’en tient aux préliminaires (prologue et exposition), Rétribution est son film le plus proche du cinéma américain : un inspecteur un peu foutraque enquête sur plusieurs meurtres similaires, qui pourraient être l’œuvre d’un serial-killer. Mais, très vite, ces données sont biaisées parce que le policier se croit inexplicablement coupable du premier crime auquel on a assisté. De fait, il trouve des indices troublants, et le meurtrier qu’on a vu de dos lui ressemblait.
Ensuite, il y a la part grotesque/ poétique, inhérente au cinéma de Kurosawa : les victimes sont toutes retrouvées noyées la tête dans une flaque d’eau salée. Puis ces repères tangibles sont peu à peu annulés, car le film est fondé sur le délitement et l’incertitude. Non seulement l’inspecteur se soupçonne lui-même, mais il n’y a pas de serial-killer. Retournement des clichés. D’autre part, il y a le rapport diffracté à la figure féminine, décomposée en deux personnages fragmentaires, dont la fille en rouge, rappel du fantôme de Loft, qui surgit partout sur le chemin du flic troublé.
Cette errance dans la forêt des signes habituels du polar et du film de spectre, soigneusement désorganisée par le cinéaste, qui suit avec des travellings et panoramiques enveloppants les déambulations de son héros somnambulique dans les no man’s land industriels et les décombres portuaires de Tokyo, est une sorte d’état des lieux mélancolique du genre ; le pendant urbain de Loft, qui revisitait à sa manière les archaïsmes campagnards du fantastique nippon d’antan inspiré du kabuki (voir Kaidan de Nakata).
Sapé par les secousses sismiques, traduisant aussi bien la fébrilité du flic que les trépidations électriques du spectre hurlant qui l’attire peu à peu vers un lieu de la honte délabré, un théâtre postapocalyptique, le film glisse vers l’abstraction, devient un jeu de miroirs de la culpabilité, où les victimes sont peu dissociables des meurtriers, et où, comme dans Loft, mais de façon moins vertigineuse, passé et présent finissent par se confondre. Kurosawa n’est pas le cinéaste de la rédemption, de la résolution ou de la réconciliation, mais un accélérateur lyrique de chaos mental.
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