Lauréat en 1986 du Grand Prix de Sundance, ce film de Joyce Chopra ressort chez Carlotta en DVD et Blu-ray dans une éclatante restauration 4K. Une pépite à découvrir pour la première fois en France.
La première fois qu’on a pu voir Laura Dern devant une caméra, c’était pour un plan, au fond d’un diner, qui nécessita 19 prises dans Alice n’est plus ici (1974) de Martin Scorsese. Le cinéaste se serait alors tourné vers la mère de Dern, la comédienne Diane Ladd, qui jouait dans le film, lui déclarant : “Elle a mangé 19 cornets de glace sans tomber malade. Cette fille va devenir une actrice.” Une prémonition confirmée dans la première moitié des années 1980 où l’actrice adolescente enchaîne cinq rôles, notamment chez Adrian Lyne et Peter Bogdanovich, avant d’entamer sa mythique et fructueuse collaboration avec David Lynch.
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Avant Blue Velvet, Laura Dern interprète une adolescente de 15 ans (elle a 17 ans au moment du tournage) dans Smooth Talk, premier film de Joyce Chopra qui ressort dans une éclatante restauration en Blu-ray 4K chez Carlotta. Lauréat en 1986 du Grand Prix de Sundance et n’ayant pour autant jamais connu le chemin des salles en France, le film est l’adaptation d’une nouvelle, Where Are You Going, Where Have You Been ? de Joyce Carol Oates, écrivaine qui a également inspiré Laurent Cantet (Foxfire), Andrew Dominik (Blonde) et François Ozon (L’amant double).
L’été, l’adolescence
Coming of age qui suinte les eighties fluo par tous les pores, Smooth Talk semble d’abord être une longue virée d’été, sous un soleil de plomb, entre les centres commerciaux et les diners. Connie est une adolescente longiligne à la blondeur suprême, et cherche à taper dans l’oeil des garçons. Quand elle ne flâne pas avec les copines, elle se morfond chez elle, en conflit permanent avec une mère jalouse de sa beauté et son insouciance : “I look into your eyes and all I see are trashy dreams.” Certes moins éthéré, le film préfigure en partie Virgin Suicides (qui est aussi le premier film d’une femme) par de nombreux motifs communs : société conservatrice, autorité possessive de la mère, absence du père, peinture de l’ennui, éveil du désir féminin. Cette apparente chronique adolescente opère également un glissement lent vers le danger.
Toute la première heure de Smooth Talk semble être une longue préparation à son dernier acte : seule chez elle, Connie reçoit la visite d’un homme croisé auparavant et qui lui propose une balade en voiture. S’il clignote ainsi aux deux tiers d’une insouciance estivale, le teen movie bascule et fait exploser toutes ses coutures pour libérer une scène d’une trentaine de minutes, bloc terrible et imposant virant au home invasion qui met en scène l’orchestration d’une prédation. Si l’on imaginait que le “smooth talk” décrivait les bavardages légers propres à la drague et au badinage adolescent, c’est en réalité un autre langage bien plus sombre qui s’y dissimule : la douce parole d’une manipulation. Celle d’Arnold Friend (“A Friend”, comme il se présente), joué par un Treat Williams glaçant, version toxique et flippante de James Dean, qui enclenche une séduction oppressante, jusque dans les modulations de sa voix et les déplacements de son regard sur le corps et le visage d’une adolescente comme une proie qu’il enserre.
Tous deux de blancs vêtus, les deux personnages se donnent la réplique dans un jeu d’embrasures et de seuils, où seule une fine moustiquaire les sépare à la porte d’entrée. Pourtant très jeune, Laura Dern est déjà impressionnante car constamment sur la brèche, entre deux âges et deux sentiments, teintée de candeur et de transgression, elle est remarquable dans ce qu’elle peut exprimer de confusion et de vulnérabilité. À rebours, Smooth Talk en devient ainsi particulièrement fascinant par sa sensualité trouble, et hautement avant-gardiste quand il s’agit de mettre en scène le silence que les hommes imposent et entretiennent sur les jeunes filles. Smooth talk, rough silence.
Smooth Talk, de Joyce Chopra, avec Laura Dern, Treat Williams, en DVD et Blu-Ray chez Carlotta à partir du 5 mars
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