Alors exilé aux Etats-Unis, le cinéaste creuse le sillon des motifs qui lui sont chers avec cette famille de cultivateurs confrontée à une terre ingrate. A redécouvrir en version restaurée.
Cinéaste français exilé en Amérique pendant la Seconde Guerre mondiale, Jean Renoir tourne six films à Hollywood. Il est toujours curieux de voir ce que l’industrie hollywoodienne fait à nos cinéastes et acteurs les plus français, dont l’œuvre est puissamment liée à un territoire, un imaginaire, une manière de filmer le peuple : quelque chose parfois se perd dans la traduction, la greffe ne prend pas parce que l’artiste est déterritorialisé.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
A ce moment précis de l’histoire, s’il ne participe pas à l’effort de guerre, Renoir y contribue avec le seul art qu’il maîtrise et réalise deux films sur la Résistance (Salut à la France et le magnifique Vivre libre). Sur d’autres films, il montre qu’il est un cinéaste hollywoodien : L’Etang tragique, L’Homme du Sud, La Femme sur la plage.
Le vent, la terre, l’eau et le feu
Toutefois, de manière inconsciente ou non, il trouve dans ces trois films une manière de reterritorialiser son cinéma en gardant, au centre de l’intrigue, un élément fondamental pour lui : l’eau comme métaphore obsédante de la mise en scène, remède à la raideur théâtrale qui a longtemps grippé le cinéma français. “Il y a dans le mouvement du film un côté inéluctable qui l’apparente au courant des ruisseaux, au déroulement des fleuves. Pour moi, c’est cela un bon film, c’est la caresse du feuillage pendant une promenade en barque avec un ami.”
L’Homme du Sud narre les vicissitudes de Sam Tucker (Zachary Scott), saisonnier agricole qui décide de se mettre à son compte pour cultiver son propre champ de coton. Il embarque sa famille sur un bout de terre en jachère où tous logent dans une ferme abandonnée au bord de la ruine.
Renoir semble penser très fort à John Ford, quitte parfois à frôler un peu trop l’exercice de style emprunté, comme une manière de montrer patte blanche, de prouver qu’il peut tout à fait se faire américain et exalter les valeurs du pays : l’esprit pionnier, la communauté, la misère transcendée par un indestructible optimisme, un rapport mystique à la terre, la prospérité qui finira bien par arriver.
Le vent, la terre, l’eau et le feu, tous sont d’ailleurs au centre du film, le remuent de l’intérieur, famille d’éléments qui fait face et dialogue avec la famille Tucker. C’est d’ailleurs à travers ces éléments que Renoir renoue avec lui-même et propose sous la chronique américaine une définition du plan renoirien. Pour l’illustrer, l’eau compte moins ici que le feu. Premier élément de réconfort au milieu d’une nature aride et indomptable, le feu matérialise à lui seul le foyer, la maison.
Le feu, c’est ce qui rassemble et agence tous les corps dans un même espace, ce qui les attire irrésistiblement. Renoir s’attarde plusieurs fois sur les flammes crépitant dans le fourneau, mouvement pur qui captive la caméra. Le plan renoirien est ainsi : un âtre qui recueille chaque mouvement comme s’il s’agissait d’un feu. Mouvement des acteurs, du nourrisson, du chien, du figurant las, du vent dans les arbres, de l’eau, de toutes les flammes du monde dont son cinéma s’est toujours fait l’écrin.
L’Homme du Sud de Jean Renoir, avec Zachary Scott, Betty Field, J. Carrol Naish(E.-U., 1945, 1h32)
{"type":"Banniere-Basse"}