Le réalisateur de « Sixième Sens » et de « Incassable » est de retour au sommet avec l’excellent « Split », nouveau flip horrifique en marge de l’industrie. Nous l’avons rencontré à l’occasion de son passage à Paris.
The Visit l’avait remis en selle, Split confirme son retour de baraka. A Paris pour la promotion de son douzième long-métrage, M. Night Shyamalan est guilleret comme jamais, racontant de sa voie fluette et avec son débit mitraillette comment il a conçu ce nouveau thriller horrifique, insistant pour qu’on n’en révèle pas (trop) les secrets, et enfin nous confiant ce qui l’anime pour l’avenir.
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L’idée du film est ancienne n’est-ce pas ?
M. Night Shyamalan – Oui, j’ai écrit ce personnage il y a une quinzaine d’années, pour un autre film (il ne veut pas dire lequel, mais c’est évident pour quiconque a vu Split, ndlr). Or à l’époque, je n’arrivais pas à trouver le bon équilibre, il prenait trop de place par rapport aux autres personnages. Donc j’ai décidé de le garder sous le main pour plus tard. Et le voici.
Ce personnage a vingt-trois personnalités, comme Billy Mulligan, le célèbre violeur américain des années 70. Ce n’est pas une coïncidence, si ?
En effet, je me suis effectivement inspiré de Billy Mulligan… (il réfléchit, ndlr) Et puis, vous savez, j’aime le 23. C’est mon nombre préféré. Et pas seulement parce que c’est le numéro le maillot de Michael Jordan (rires). Mais je ne saurais vous en dire plus. J’aime le six également. C’est comme ça (sourire).
Vous n’avez jamais eu peur d’aller vers le grotesque, le too much. D’où vient ce goût, et pourquoi avoir ressenti ici le besoin d’aller si loin dans cette direction ?
C’est difficile à expliquer. Pourquoi David Lynch aime-t-il le bizarre ? Moi j’aime ce qui semble a priori vue inadéquat, choquant. Je me suis longtemps contenu, mais depuis The Visit, j’ai décidé de me lâcher, d’aller à fond vers ce que j’aimais, d’être moins timide.
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On pense par moment beaucoup au Silence des Agneaux. Est-ce une de vos influences ?
C’est un de mes films préférés ! J’y ai évidemment pensé, notamment pour écrire les scènes de thérapie. D’une certaine façon, lorsque Jodie Foster va voir Hannibal Lecter en prison, c’est presque comme si elle allait voir son psy.
Split me semble avoir, comme la plupart de vos films, une dimension politique. Ce qu’il raconte sur la révolte des « gens brisés » (« broken » en anglais) qui après des années de silence refont surface et prennent le pouvoir violemment, poussés par leur colère, me parait faire écho à la montée du populisme un peu partout dans le monde… Il y a par ailleurs quelque chose de fasciste dans l’attitude de Dennis, ou dans l’évocation d’une bête, qui rappelle la « bête immonde » de Brecht…
Il y a quinze ou seize ans, quand j’ai eu ma première inspiration pour ce film, je n’ai pas pensé à cet aspect politique — qui n’était de toutes façons pas d’actualité. Mais quand j’ai repris l’écriture, l’an dernier, tout ce que vous évoquez était dans l’air du temps, et plus encore aujourd’hui. Il est donc possible que ça m’ait inspiré. Je dis « possible » et non « certain », car il n’est jamais évident de retracer l’inspiration, et je ne veux pas non plus fermer l’interprétation… Mon idée, c’était d’abord d’explorer la façon dont l’esprit peut influer, et même façonner le corps, dans des proportions extra-ordinaires. Je n’ai pas conçu Kevin et ses avatars comme un fasciste prêt à prendre le pouvoir ; plutôt comme un ange déchu convaincu qu’il doit venger tous ceux qui ont souffert durant l’enfance. Pour moi, ce n’est pas un méchant. Pas complètement en tout cas… Dans les comics books, il y a toujours des personnages qui oscillent entre le noir et le blanc, et lui est comme ça.
Essayez-vous de construire une mythologie avec ce film ?
Oui et non. Disons que j’ai envie de raconter une histoire en plusieurs chapitres, mais pas d’y rester pour toujours. J’en ai tellement d’autres à raconter, vous savez, que je ne pourrais pas rester éternellement sur celle-ci.
Vous avez vu The OA ? Ca me fait beaucoup penser à La jeune fille de l’eau…
Ah oui ? Je ne l’ai pas encore vu mais c’est sur ma liste de choses à faire dès que j’aurai fini la tournée promotionnelle de Split. C’est drôle que vous disiez ça car Zal Batmanglij (le co-scénariste de The OA, ndlr) a travaillé sur deux épisodes de ma série. Je le connais bien et c’est quelqu’un avec qui j’ai une vraie communauté de pensée.
Le succès de The Visit et de ce film-ci vous donne-t-il des ailes pour prendre de nouveaux risques ?
Absolument. Je me sens plein d’énergie, libéré de certaines limites que je m’imposais. Je peux aller vers plus d’avant-gardisme sans me mettre trop en danger grâce à mon producteur (Jason Blum), avec qui j’ai une super relation… J’adorerais faire un film comme Amour — j’admire Haneke. Je n’ai plus besoin de me dire que je vais faire des films devant rapporter 600 millions de dollars pour être rentables. L’idée de pouvoir faire un film sur deux personnes âgés dont l’une est mourante, c’est quelque chose qui m’excite.
Propos recueillis par Jacky Goldberg
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