Comme les souris dalmatiennes qui couraient à travers les cases de La Famille Tenenbaum ou le requin-jaguar que poursuit Bill Murray dans La Vie aquatique, Wes Anderson appartient à une espèce hybride : le Texan new-yorkais. Avant d’emménager dans la ville qui ne dort jamais, le réalisateur a en effet grandi à Houston, Texas. Cet […]
Comme les souris dalmatiennes qui couraient à travers les cases de La Famille Tenenbaum ou le requin-jaguar que poursuit Bill Murray dans La Vie aquatique, Wes Anderson appartient à une espèce hybride : le Texan new-yorkais. Avant d’emménager dans la ville qui ne dort jamais, le réalisateur a en effet grandi à Houston, Texas. Cet ancrage premier dans le coeur de l’Amérique conservatrice a sans doute contribué à forger un caractère indépendant et rêveur qui s’est d’abord nourri des ouvrages de Salinger et de Fitzgerald.
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Tandis qu’il suit des études de philosophie à l’université d’Austin, il découvre l’ uvre de ses cinéastes de référence (Truffaut, Fellini, Huston) et fait également la rencontre des frères Luke et Owen Wilson, acteurs et scénaristes. En 1996, un premier long, Bottle Rocket, résulte de cette association. Mais ce n’est que deux ans plus tard, avec Rushmore, que le réalisateur met véritablement en place sa cinématographie, mélange étrange de surcodage visuel et de théâtralité mouvante. C’est aussi le début de sa collaboration avec Bill Murray, qui interprète ici un père de famille sauvé de la dépression par un adolescent spécialisé dans les activités parascolaires.
En 2002, La Famille Tenenbaum vient confirmer le talent d’Anderson. En orchestrant les retrouvailles tardives entre un patriarche indigne et sa géniale progéniture, le cinéaste invente un monde décalé où chaque individu essaye d’échapper à sa signalétique identitaire pour retrouver le contact perdu avec son entourage. Trois ans après ce premier coup de maître, il revient aujourd’hui à l’écran avec La Vie aquatique, dérive poétique entre Cousteau et Cocteau, Moby Dick et Ziggy Stardust.
ENTRETIEN > D’où vient l’idée de La Vie aquatique ?
Wes Anderson (En s’adressant d’abord à son attaché de presse ndlr) J’ai le droit de parler de Cousteau, n’est-ce pas ? (Après confirmation) La première inspiration remonte à l’enfance quand mon frère et moi regardions les films de Cousteau à la télévision. On l’adorait. Pour nous, c’était un héros de fiction. Au départ, le film était surtout sur le fait de partir en mer, à l’aventure, avec ce personnage central. Mais à mesure que nous écrivions le scénario avec mon ami Noah Baumbach, qui est aussi un écrivain et un réalisateur, le sujet s’est progressivement déplacé vers un questionnement plus général sur la figure du cinéaste. Nous avons pas mal discuté de La Nuit américaine et de Huit et demi. Au final, La Vie aquatique raconte l’histoire d’un homme qui veut faire un film et a un besoin désespéré que d’autres personnes viennent se rattacher à son idée. Mais l’univers de Cousteau est resté très présent.
Le film conserve aussi une vraie dimension d’aventure maritime.
Pendant la première partie du film, il y a vraiment des scènes intimes à deux ou trois. Et puis, soudain, il y a une bascule avec l’attaque de pirates. Mon idée était que cette séquence devait fonctionner comme une scène à la William Friedkin, de façon très crue et très réaliste. Mais, au final, elle est pleine de gags. Les pirates ont l’air de cinglés et Bill Murray porte un peignoir de bain pendant tout l’assaut ! Disons que cela rend hommage aux films d’aventures autant que cela embarque dans une vraie aventure.
Le personnage central incarne de nouveau une figure paternelle.
Au départ, je ne voulais pas qu’il y ait de relation père-fils parce que je l’avais déjà fait. Mais je ne peux pas contrôler ce qui ce passe dans l’écriture. Je devrais sans doute passer quelques années chez un psychanalyste. Peut-être pourrais-je raconter quelque chose d’autre ? (rires)
C’est votre troisième film avec Bill Murray.
En fait, je lui avais parlé de ce projet dès Rushmore. Je n’ai jamais rencontré personne qui lui ressemble. Il est, d’ailleurs, l’une des sources d’inspiration pour son personnage. Face à un groupe de gens, il va toujours trouver quelque chose à dire de drôle et de surprenant. Mais il y a aussi quelque chose de douloureux ou de triste dans ses yeux qu’on voit bien au cinéma dans les gros plans. C’est ce mélange qui le rend si singulier.
Vos films comportent toujours des personnages assez étranges. Dans La Vie aquatique, il y a ce guitariste brésilien qui ne fait que chanter du Bowie en portugais…
J’ai toujours peur que mes films soient trop irréels. Je ne cherche surtout pas à inventer des personnages invraisemblables. La plupart de leurs caractéristiques viennent du comportement de gens très proches, des amis ou de la famille. Bien sûr, je me rends compte que ces gens sont bizarres dans la vie mais c’est sur ce type de personnes que j’ai envie d’écrire. A cela s’ajoutent des renvois plus conscients à des figures comme celle de Cousteau. En ce qui concerne le guitariste, je voulais juste un personnage dont l’unique fonction était de chanter comme dans les westerns. Puis j’ai décidé que chaque membre de l’équipage serait d’une nationalité différente et nous avons fait du chanteur un Brésilien. J’ai alors contacté Seu Jorge suite à une projection de La Cité de Dieu. Ce n’est qu’après l’avoir choisi que j’ai découvert que c’était aussi une pop star. Dans le film, il n’a qu’une réplique : « Je ne l’ai pas vu,patron. » (rires)
La musique joue un rôle capital dans vos films. A quel moment du processus de fabrication intervient-elle ?
A tous les stades. Certains morceaux viennent durant l’écriture du scénario. Je mets aussi souvent de la musique sur le plateau pour aider les acteurs, en particulier lorsqu’ils n’ont pas de partenaires, et quand je regarde les rushes, je me demande si cela pourrait fonctionner dans la séquence. Mais beaucoup de titres viennent pendant le montage.
Pour la première fois, vous avez fait appel à des séquences d’animation.
Nous ne voulions pas rivaliser avec Discovery Channel. Il fallait donc que tous les animaux aquatiques soient inventés. Or je ne suis pas fou des effets numériques et j’adore les techniques d’animation image par image. J’aime le sentiment que cela donne d’être fait à la main, qu’il y a une personne derrière. Autant que possible, je préfère que tout soit fait directement à la caméra comme les ouvertures et fermetures à l’iris dans L’Enfant sauvage de Truffaut ou les séquences poétiques chez Cocteau. Pour les animations de La Vie aquatique, j’ai eu la chance de travailler avec Henry Selick qui avait collaboré avec Tim Burton sur L’Etrange Noël de monsieur Jack.
Pourriez-vous définir votre position au sein du cinéma américain contemporain ?
Les gens m’associent souvent à Sofia Coppola, David O’Russell, Spike Jonze, Alexander Payne ou Paul Thomas Anderson. Mais je n’ai rencontré toutes ces personnes qu’assez tardivement. Ils vivent en Californie et je vis à New York. Même si j’apprécie leurs productions et que je suis devenu ami avec certains d’entre eux, les gens dont je me sens vraiment proche sont plutôt les personnes avec qui je travaille : Owen et Luke Wilson, Noah Baumbach, ou les artistes de la période antérieure, Peter Bogdanovich, Martin Scorsese, William Friedkin. Le personnage de Bill Murray doit beaucoup à ces figures.
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