A l’occasion de la 26ème édition du festival du film fantastique de Gérardmer, où un hommage lui est rendu, rencontre avec Udo Kier, acteur allemand grandiose, devenu icône du cinéma fantastique, et second rôle mythique chez Fassbinder, Lars Von Trier ou Gus Van Sant. Un acteur total à la carrière polymorphe qui croise Warhol, Argento et Madonna.
Udo Kier c’est d’abord un regard. Des yeux bleu acier, aux allures de joyaux dépolis par les embruns, qui vous transpercent et inspirent tantôt la peur, tantôt la fascination. Ce regard magnétique, l’acteur allemand en a fait un précieux allié, un formidable outil de travail, et son infatigable compagnon de route. Après cinquante ans d’une prodigieuse carrière à avoir habillé le visage de vampires impavides, de savants fous extatiques et d’étranges énergumènes, ces deux prunelles azuréennes n’ont rien perdu ni de leur inquiétante étrangeté, ni de leur formidable pouvoir d’attraction.
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Carrière polymorphe
Né à l’automne 1944 à Cologne dans une Allemagne agonisante sous le feu des Alliés – la maternité dans laquelle il voit le jour est bombardée quelques heures après sa naissance – Udo Kier commence sa carrière d’acteur après un voyage à Londres, et incarne en 1966 un gigolo dans La Route de Saint-Tropez, court-métrage du cinéaste britannique Micheal Sarne. Révélé dans les films fantastiques de Paul Morrissey produits par Andy Warhol, dans lesquels il incarne tour à tour le baron de Frankenstein et Dracula, il devient le visage du renouveau fantastique des années 1970, collaborant notamment avec Dario Argento. Soucieux de ne pas s’enfermer dans un rôle vampirisant, il s’essaye à différents genres, s’aventurant dans le paysage interlope du cinéma crypto-érotique avec l’OVNI Spermula (1976) de Charles Matton ou l’adaptation d’Histoire d’O (1975) signée Just Jaeckin. A la fin des années 1970, il devient le protégé de Rainer Werner Fassbinder, avec lequel il collabore sur plusieurs films, puis de Lars Von Trier, dans la filmographie duquel il devient un acteur récurrent. Sa rencontre avec Gus Van Sant, et son rôle dans My Own Private Idaho (1991) lui ouvrent les portes de l’Amérique, où il enchaîne les seconds rôles, aussi bien dans des films d’auteur indépendants que dans l’industrie lourde hollywoodienne (Blade, Ace Ventura, Armageddon).
Udo Kier, royal
A près de 75 ans, Udo Kier continue de rouler sa bosse de festivals en festivals, enchaînant les films à une cadence frénétique, en artisan infatigable entièrement consacré à un art qu’il a fait sien. A la fois figure majeure d’un cinéma fantastique décadent, second rôle inoubliable chez les plus grands cinéastes contemporains, trublion dans des grosses productions hollywoodiennes, premier de cordée d’improbables séries B ou icône queer pour Madonna, Udo Kier est un pur condensé pop du cinéma de ces cinquante dernières années et une légende monolithique du 7ème Art, trop souvent passée sous les radars. A l’occasion de la 26e édition du festival du film fantastique de Gérardmer, qui lui rend un hommage mérité, nous avons pu croiser son regard hypnotique.
Votre collaboration avec Paul Morrissey, et vos rôles dans Chair pour Frankenstein et Du sang pour Dracula ont lancé votre carrière. Comment avez-vous rencontré Morrissey ?
Udo Kier – A cette époque [1973 – ndlr], je vivais à Rome, et j’étais dans un avion en direction de Munich. Il y avait un homme dans le siège d’à côté que j’ignorais être Paul Morrissey. Il m’a demandé, comme aiment le faire les Américains, ce que je faisais dans la vie. Je lui ai dit que j’étais acteur, lui ai donné une photo de moi, et il a noté mon numéro de téléphone sur la dernière page de son passeport. C’est là qu’il m’a dit qu’il s’appelait Paul Morrissey et qu’il travaillait pour Andy Warhol. Quelques semaines plus tard il m’appelle et me dit : « Salut c’est Paul de New York, on s’est rencontré dans l’avion. Je tourne une adaptation de Fankenstein pour Carlo Ponti [grand producteur italien – ndlr] à Rome, à la Cinecittà, et j’aurais un petit rôle pour toi ». Je lui dis « Super, je joue qui ? », il me répond « Frankenstein !« . C’était un petit budget, trois semaines de tournage pour 300.000 dollars, ce qui n’est même pas ce que coûte aujourd’hui un clip de trois minutes de Madonna. Après Chair pour Frankestein je n’étais pas censé être Dracula dans son film suivant. Morrissey souhaitait casser la règle voulant que Dracula ait des cheveux noirs, et voulait un acteur blond. Quelque chose s’est mal passé, peut-être au niveau des droits, je ne sais plus. Quoiqu’il en soit, le dernier jour du tournage de Frankenstein je suis allé à la cantine de la Cinecittà, et c’était très cinématographique parce que Fellini était entrain de tourner juste à côté, et tous ses acteurs et son armée de figurants, tous en costumes, envahissaient la cantine. J’étais assis là, et je me disais, comme le dit Andy Warhol, qu’on a tous un quart d’heure de gloire, et que le mien venait de passer. Mais Paul Morrissey est venu me voir et m’a dit « Bon, eh bien il faut croire qu’on va avoir un Dracula allemand« . Je lui ai demandé « Qui ça ?« , il m’a dit : « Toi. Mais on commence à tourner dans une semaine et tu dois perdre 10 kg. » Pas de problème. Je n’ai donc quasiment rien mangé pendant une semaine, et bu beaucoup d’eau. J’étais tellement affaibli que je devais me déplacer en fauteuil roulant. C’est pour ça qu’au début du film, Dracula est en fauteuil.
Après ces deux films, vous auriez pu devenir « le nouveau Christopher Lee », mais ça n’a pas été le cas. C’était important pour vous de rester libre, et de ne pas vous enfermer dans un rôle?
Je ne voulais pas devenir un cliché, oui. Christoper Lee était un grand acteur, mais il a joué des vampires presque toute sa carrière. Et je ne voulais pas devenir le vampire de service. En réalité je n’ai rejoué un rôle de vampire que dans Blade. Même dans L’Ombre du Vampire [film de Elias Merhige de 2000 qui raconte le tournage de Nosferatu – ndlr] , je ne jouais pas un vampire mais un producteur. Dans Suspiria, pareil, je ne joue pas une créature maléfique, mais le type qui explique à Jessica Harper ce qui manque à la compréhension du spectateur. Et Dario Argento aimait m’employer comme personnage clé, qui explique l’histoire aux spectateurs. Dans La Troisième Mère je refais la même chose, et explique les zones d’ombres du scénario au personnage joué par Asia Argento.
Mais j’ai toujours fait attention à ne pas répéter les même rôles, à ne pas m’enfermer dans un personnage. Avant de jouer Dracula, je n’imaginais même pas pouvoir l’incarner, parce que ce n’est a priori pas dans mon ADN d’acteur. Mais si aujourd’hui on me proposait un rôle de vampire dans un film excitant, bien écrit, avec un réalisateur intéressant, je me dirais « pourquoi pas ?« . En tant qu’acteur j’ai été Frankenstein, Dracula, mais aussi le pape ; j’ai incarné tellement de personnages différents. Juste après ce festival je vais à Berlin, où j’ai deux films en compétition, totalement différents. Un remake de M le Maudit, et un film burlesque qui n’a rien à voir. Vous voyez l’idée.
On peut dire que vous êtes un acteur polymorphe et votre carrière est prodigieusement vaste et variée. Comment sélectionnez-vous les films dans lesquels vous jouez ?
La chose la plus importante, c’est évidemment le scénario. Ensuite ça dépend réalisateur, de ce qu’il a fait avant. Mais parfois j’y vais au feeling. Par exemple je viens de tourner au Luxembourg dans le premier film d’un jeune réalisateur, parce que j’aimais beaucoup le scénario, alors je me suis lancé dans ce voyage vers l’inconnu, sans réellement savoir ce que le réalisateur serait capable de faire, sans vraiment connaître sa vision du cinéma. Mais j’aime ce genre d’aventures, et j’aime faire des choses extrêmement différentes les unes des autres. Je joue dans huit films qui vont sortir dans les prochains mois, et qui n’ont strictement aucun point commun. L’un d’eux est présenté à Sundance en ce moment, The Mountain, avec Jeff Goldblum. Un autre est actuellement en post-production, une adaptation de L’Oiseau bariolé, un roman controversé de Jerzy Kosinksi paru en 1965 sur l’errance d’un jeune juif pendant la seconde guerre mondiale. Il y a aussi un film belge totalement loufoque qui s’appelle The Barefoot Emperor. Des films qui n’ont strictement rien à voir les uns avec les autres. Et je pense qu’un acteur ne devrait pas avoir un chemin tout tracé. Après on peut aussi devenir Superman et jouer dans Superman 1, 2, 3, 4, 5 etc. Mais c’est encore autre chose. Je me considère comme un acteur indépendant, qui a eu la chance de travailler avec des cinéastes indépendants comme Lars Van Trier, Wim Wenders, Fassbinder, qui m’ont permis de devenir l’acteur que je voulais vraiment être.
Il paraît que vous étiez ami avec Fassbinder avant qu’il devienne cinéaste.
Pas vraiment ami, mais on se fréquentait adolescents dans un bar de prolos à Cologne. Il avait quinze ans, j’en avais seize, et à cette époque on en avait pas grand chose à faire du cinéma ou du théâtre. Quelques années plus tard, je devais avoir 21 ans, j’étais à Londres, où j’étais parti pour apprendre l’anglais, et je lis dans un magazine un long article consacré au « génie Rainer Werner Fassbinder ». Et je me suis dit « je le connais, c’est le type du bar de Cologne« . A cette époque, je commençais à être acteur, on s’est vu à Munich, et on a commencé à travailler ensemble. D’abord dans La Femme du Chef de Gare, puis dans La Troisième Génération, Berlin Alexanderplatz, Lili Marleen, et d’autres encore. Fassbinder est devenu un ami, et ça reste l’un des plus grands réalisateurs que j’ai connu.
Une autre de vos collaboration notable est celle avec Gus Van Sant, que vous avez inauguré avec le rôle de Hans dans My Own Private Idaho. Comment s’est faite la rencontre ?
J’étais au festival de Berlin à la fin des années 1980 et un jeune réalisateur, qui aimait beaucoup les films de Paul Morrissey, est venu me voir et m’a dit « Bonjour, je m’appelle Gus Van Sant, et je présente un petit film ici que j’ai fait pour 20.000 dollars, Mala Noche, mais je prépare un nouveau film avec Keanu Reeves et River Phoenix, et j’aurais un rôle pour toi« . Le rôle de Hans, évidemment : quand tu es un acteur allemand et que tu tournes aux Etats-Unis, ton personnage s’appelle forcément Hans. Au début je pensais qu’il n’était pas sérieux, et qu’il faisait juste la conversation parce qu’il était un peu paumé dans le festival, mais je me suis trompé. On a commencé à entretenir une correspondance, par courriers, et j’ai fini par aller aux Etats-Unis pour tourner mon premier film américain. J’étais donc à Portland aux côtés de River Phoenix, extraordinaire acteur mort beaucoup trop jeune. Pendant le tournage, son petit frère Joaquin, qui avait 16 ans à l’époque, est venu sur le tournage pour visiter son frère. Je ne me doutais pas que j’allais jouer avec lui des années plus tard, dans Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot de Gus Van Sant également.
Après le tournage de My Own Private Idaho, une amie m’a convaincu de rester aux Etats-Unis. Alors je me suis trouvé un petit appartement et une vieille bagnole et je m’y suis installé. Ca fait maintenant 25 ans que j’y vis. A Palm Springs, dans une ancienne bibliothèque où je collectionne de vieux livres, et des pièces d’art. C’est sûr que j’ai enchaîné beaucoup de petits rôles, notamment dans les films de Gus, ou de Lars Van Trier, mais ce n’est pas vraiment un problème, et ça pour deux raisons : d’abord parce qu’on crée des liens d’amitiés forts avec les cinéastes, ensuite parce que parfois les gens se souviennent mieux de toi dans un petit rôle que dans un grand. Parce que dans les petits rôles, tu es amené à faire des choses inhabituelles, qui marquent le public différemment.
C’est vrai que dans beaucoup de films dans lesquels vous avez un petit rôle, il y a toujours une séquence assez mémorable. Je pense par exemple à la scène où vous chantez avec la lampe dans My Own Private Idaho.
C’était une chanson que j’avais écrite et enregistré. Ce n’était pas dans le scénario mais j’ai dit à Gus que j’avais enregistré cette chanson – enfin, je ne sais pas chanter, mais disons psalmodier un texte sur de la bonne musique. Le morceau avait été enregistré, et sur scène, à Moscou, je devais simplement faire du playback, mais j’avais oublié de prendre un micro, alors j’ai pris une lampe torche en dernière minute pour en faire un faux micro. J’ai raconté ça à Gus, lui ai fait écouter la musique et il a dit : « C’est une bonne idée. Pourquoi tu ne chanterais pas devant Keanu et River dans la chambre d’hôtel ? Mais tu ne peux pas prendre de lampe torche, ça rappellerait trop Dennis Hopper dans Blue Velvet. Prends plutôt cette immense lampe ». C’est comme ça qu’est venue l’idée, ce n’était ni prévu, ni dans le scénario, et ça donne une scène improbable et une situation assez cocasse. Parfois les scènes improvisées, non écrites, sont plus mémorables que celles établies dans le scénario.
J’essaye constamment d’amener quelque chose de personnel, qui est fondamentalement lié à moi, dans un film, quand bien même j’ai un petit rôle. Par exemple dans une scène de Melancholia, pendant le mariage au début du film, Lars Von Trier vient me voir et me dit que je dois traverser une pièce dans laquelle je ne veux surtout pas croiser le regard du personnage joué par Kirsten Dunst. Et il me demande ce que je ferais pour le signifier. Je lui dit que je mettrais simplement ma main gauche contre mon visage, pour masquer mes yeux, et traverserais la pièce. On tourne donc la scène comme ça. Et quand le film a été présenté à Cannes, plusieurs magazines ont relaté cette scène. Pourtant ce n’était rien, enfin pas rien, mais pas quelque chose de calculé, de préparé. C’était simplement pour moi le geste naturel et indiqué en pareille circonstance. Ce sont souvent ces petites choses, ces petits rien, que les gens retiennent.
Comment expliquer que vous n’ayez jamais joué dans un film de Lynch ? Vous semblez être un acteur lynchien tout indiqué.
Ca a failli se faire ! Il se trouve que j’avais été casté pour la première saison de Twin Peaks, mais je tournais à ce moment là dans My Own Private Idaho à Portland, et le tournage du film terminait un jour avant le début de celui de Twin Peaks. Le producteur de Lynch a eu peur que je ne puisse arriver à temps, donc ça ne s’est pas fait. J’ai rencontré Lynch plusieurs fois, et j’aime beaucoup ses films, mais je n’ai jamais demandé, et je ne demanderai jamais, à un cinéaste si je peux jouer dans un de ses films. Je peux rendre hommage à un réalisateur, lui dire combien j’aime son travail, mais je n’insisterai jamais pour avoir un rôle, beaucoup d’acteurs le font, mais ce n’est pas ma philosophie. Faut dire que j’ai beaucoup de chance, j’ai travaillé avec de grands réalisateurs sans avoir à quémander un rôle, ni à les implorer. Il y a plein d’autres cinéastes avec lesquels j’aimerais tourner, Pedro Almodovar ou François Ozon par exemple. Mais je ne programme pas, je laisse les choses se faire au gré des rencontres. Et parfois une rencontre peut être belle même sans déboucher sur un rôle.
Pour aborder une autre facette de votre carrière, comment vous êtes-vous retrouvé à poser pour SEX, le sulfureux livre de Madonna, avant de jouer dans le clip de son tube Deeper And Deeper ?
Curieuse histoire. J’étais à New York et mon agent me dit que Steven Meisel, célèbre photographe, voulait me voir au sujet d’un livre dont personne ne connaissait vraiment le sujet, mais qu’on savait relié à Madonna. Je vais donc voir Steven Meisel et je me retrouve dans son bureau, entouré de gardes du corps immenses, de véritables molosses, avec des bras et des cous énormes, dans des t-shirts noirs qui semblaient prêts à exploser. Je montre mon book à Meisel et entre une fille, que je ne reconnais pas tout de suite sans maquillage, qui regarde mes photos et semble les apprécier. Meisel me dit « Je te présente Madonna« . Elle me demande si je veux participer à son livre de photos appelé SEX, pour y incarner un mari décadent partouzant avec sa femme dans des clubs échangistes. J’ai évidemment accepté. Après quoi elle m’a demandé si j’étais prêt à aller encore plus loin et à faire du vrai hardcore. Ben sûr que j’étais prêt ! On a fait le shooting dans un véritable sex club, vêtus de cuir, entourés de garçons nus. J’ai demandé à Madonna jusqu’où je pouvais aller, et elle m’a répondu : « fais tout ce que tu veux« . Fallait pas me le dire deux fois. Les photos valent le détour, le résultat est génial.
Un mois plus tard, Madonna me propose de jouer un gourou dans le clip de Deeper And Deeper. Ben sûr que je veux jouer un gourou dans le clip de Deeper And Deeper ! Et on a fait le clip. Madonna m’a ensuite envoyé une lettre pour me dire que j’étais un « mad man« , mais qu’elle m’aimait pour ça. Voilà l’histoire. J’ai l’impression que c’était il y a des siècles.
Pour revenir aux films, votre carrière condense toute une part de l’histoire récente du cinéma international. Vous avez joué aussi bien dans des films d’auteur prestigieux que dans des séries B, voire Z, ou même des blockbusters hollywoodiens. Est-ce vous voyez le cinéma comme un art sans frontières, et sans hiérarchie de genres ?
Le cinéma ne devrait pas avoir de frontières. Il y a différents types de films, des films commerciaux à gros budgets, des films indépendants à forte teneur artistique. Et si je préfère la seconde catégorie, parce qu’en tant qu’acteur ça me permet d’être plus créatif, c’est toujours intéressant de jouer dans des énormes productions hollywoodiennes comme Blade, ou Armageddon. Des films avec des castings incroyables, et…. des caravanes gigantesques ! Il y a certains acteurs que j’appelle les « acteurs-caravanes », parce qu’ils ont tous des caravanes plus dingues les unes que les autres sur les tournages. Et si ces grosses productions permettent de me faire beaucoup de publicité, et sont des aventures assez spectaculaires, mon cœur ira néanmoins toujours vers les productions indépendantes, qui laissent plus de place à la créativité, et qui ne calculent par leur réussite sur le succès en salles. Lars Von Trier ou Gus Van Sant ne calculent pas, ils font des films parce qu’ils aiment faire des films. Ils ne crachent évidemment pas sur le succès, mais ils ne le calculent pas ni ne le convoquent désespérément.
Parfois ça donne de formidables échecs, comme le Dune de Jodorwsky qui n’a jamais été tourné parce qu’il a complètement dilapidé le budget, et dans lequel j’aurais du jouer. Mais il avait un casting absolument incroyable, bien meilleur que celui de la version filmée par Lynch. Salvador Dali en empereur, Orson Welles qui aurait joué mon oncle, et moi qui étais supposé jouer Feyd-Rautha, qui a finalement été incarné par Sting dans la version de Lynch. Jodorowsky m’avait aussi proposé un rôle dans sa première version de Santa Sangre, qui n’a finalement jamais vu le jour et qui aurait été un rêve pour moi. Le film raconte l’histoire d’une famille de circassiens, et dans la version originale je devais jouer le rôle d’un fils dont la mère a été mutilée et amputée des deux bras. Le fils promet à sa mère de lui prêter ses bras jusqu’à sa mort. C’est Bette Davis qui était supposée jouer la mère. Bette Davis ! Quel rêve ça aurait été pour moi de prêter mes bras à Bette Davis ! Un regret éternel. Mais une carrière est aussi faite de regrets.
Merci Udo Kier, je crains que notre temps d’entretien soit écoulé…
[Il regarde par la fenêtre qui donne sur le toit enneigé du Gand Hôtel de Gérardmer] Oui, parce qu’en plus il y a un corbeau noir qui vient de se poser juste derrière vous, sur le toit, et qui nous regarde fixement. Et maintenant il observe la fenêtre de ma chambre avec a l’air de dire : « Pourquoi tu n’es pas dans ta chambre, Udo ? ».
Propos recueillis par Léo Moser
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